Les médias sociaux, qu’est-ce qu’on crisse avec ça?

Une étude de 2013 rapporte que la consommation électrique mondiale attribuable à l’Internet est de 7%, incluant la construction et l’utilisation d’ordinateurs et de téléphones intelligents, ainsi que les centres de données et l’entretien des réseaux. Ça semble bien peu, mais c’est plus que la consommation électrique de l’Inde en entier. Pour le dire autrement, les réseaux dont nous dépendons quotidiennement pour nos communications et nos loisirs demandent autant d’électricité que 1,4 milliards de personnes. Le problème, c’est que notre futur sera de plus en plus connecté, et qu’il est prévu que la consommation électrique continue d’augmenter de façon exponentielle. Bref, si l’on a besoin de construire toujours plus de barrages hydroélectriques, c’est un peu à cause de nos nouvelles façons de communiquer.

Toutefois, les réseaux sociaux ne sont pas un simple ajout à nos modes de communication, mais sont en fait essentiels à nos vies quotidiennes. Elles sont donc un problème collectif, puisque, pour avoir accès à nos ami·e·s et à nos familles, les réseaux sociaux sont de plus en plus nécessaires. Plutôt que de payer 30$ par mois à Bell pour pouvoir appeler la famille, les réseaux sociaux sont désormais gratuits, mais avec des publicités en prime. Ces revenus de publicités sont venus ronger les revenus des médias de communication traditionnels, que ce soit la télé, la radio ou les journaux. Ce sont les revenus publicitaires de ces médias qui sont devenus les profits de Meta1 et de Google. De cette façon, puisque les médias traditionnels ont perdu une forte part de leur revenus, le contenu produit est de plus en plus superficiel, tout ça pour concurrencer avec les memes qui tournent sur Facebook.

Les médias sociaux fuckent le monde

On pensait avoir vu le bout de la marde avec les médias traditionnels, avec les radios-poubelles et l’islamophobie flagrante de TVA. Mais, pour diffuser des informations plus cadrées sur nos intérêts, les médias doivent mieux nous connaître. Une telle connaissance dans les mains des capitalistes devient rapidement encore plus dangereuse que les médias traditionnels. Rappelons le scandale de Cambridge Analytica. La compagnie a obtenu les informations sur 50 millions d’utilisateur·trice·s de Facebook aux États-Unis, de manière à les viser avec des publicités ciblées dans le contexte de l’élection de Trump en 2016. La logique est simple, on présente des publicités spécifiques qui disent aux votant·e·s ce qu’iels veulent entendre. Le but n’est plus de présenter une plateforme cohérente, mais de présenter des aspects spécifiques à des populations spécifiques. Les connaissances qu’ont les médias sociaux de nos habitudes sont ce qui est vendu aux plus offrants, et donc les riches peuvent acheter du pouvoir politique à nos dépens.

La croissance du conspirationnisme n’est pas non plus étrangère à la forte utilisation des médias sociaux pendant la crise de la COVID. Ceci est dû au fait que ce sont les positions les plus extrêmes et les plus succintes qui sont les plus appréciées sur les réseaux sociaux. Il est évident que plus de gens vont lire un message qui dit «fuck you» qu’une longue remise en question nuancée d’une situation particulière, et les «likes» seront accordés en conséquence. Sans compter que c’est beaucoup plus facile d’être bête sur un clavier à des kilomètres de distance. Ainsi, le délaissement du dialogue et de l’échange fait que les personnes les plus vulnérables se retrouvent ainsi fréquemment isolées dans des groupes conspirationnistes, parce les autres n’ont pu intervenir avant qu’une personne ait reconstruit un sens dans cet univers. Lorsqu’un·e de nos proches nous transfère un article conspirationniste: iel est au mieux ignoré·e, ou au pire insulté·e. Les discours conspirationnistes peuvent alors transformer la colère de la population en actions contre les mesures sanitaires, contre les étranger·ère·s, contre tou·te·s, sauf contre les dirigeants.

D’une façon similaire, l’importance accordée à l’image et au jugement affecte les utilisateur·trice·s. Plutôt que de favoriser la diversité, une tyrannie de la majorité règne sur Facebook, favorisant des stéréotypes de beauté. Frances Haugen, une ancienne employée de Meta, rapporte que la compagnie n’agit pas, bien qu’elle sache que sa plateforme exacerbe les risque de suicide chez les adolescent·e·s. Bref, tant au niveau des effets politiques que des effets sur le conspirationnisme ou sur le suicide, on a un réussi à descendre encore plus bas que TVA.

Comment s’en sortir?

Ce qui importe dans tout les médias c’est la ratio signal/bruit. Le signal, c’est l’information pertinente, alors que le bruit, c’est la publicité, l’impertinent, le fait divers. C’est pourquoi il ne faut pas sauver Radio-Canada, pas plus que les médias Québécor. En fait, vous tenez une alternative dans vos mains: le bon vieux papier permet encore de transmettre des informations, des réflexions, et des réseaux de distribution existent pour toucher une certaine partie de la gauche. De la même façon, il est possible de mettre en place des outils de communication alternatifs au sein de nos organisations, que l’on pense à des listes courriel ou à des groupes Signal. De la même façon, les personnes visées par nos événements circulent dans des quartiers circonscrits, il est possible de communiquer par le biais d’affiches et de collants. On connaît la quantité de bruit et de signal qui se rend dans les quartiers: les collants sont rares dans Westmount. Lorsqu’il s’agit de rejoindre des personnes hors de nos cercles, par exemple, par les associations étudiantes, il reste possible de contacter directement ces organisations, ou même d’aller en personne annoncer nos événements lors des assemblées générales. Bref, les groupes de gauche savent généralement où trouver les personnes qu’iels visent à mobiliser, et il ne s’agit que de réfléchir avant de sauter sur le clavier.

Une considération sur le temps et la mobilisation semble importante. Effectivement, grâce à Facebook, on peut organiser une manifestation à trois jours d’avis, et souvent moins. En utilisant cette stratégie on accepte une temporalité d’action dictée par le marché: il faut exploiter la colère immédiatement, comme si les genses allaient cesser d’être révolté·e·s trois jours plus tard. Il semble nécessaire de penser aux implications de ces nouvelles habitudes militantes et la dépendance qu’elle entraîne face à des formes de communication nocives pour la société.

Il faut trouver de nouvelles manières d’échanger, de se parler. Il faut rebâtir des alternatives à échelle humaine, communiquer loin des ordinateurs. Avant Facebook, le seul endroit où être militant·e, c’était dans les actions, dans la rue, et dans les réunions. Il faut ramener à la vie les poteaux de nos quartiers pour que les affiches, les collants et les graffitis crient nos luttes. Il faut sortir dehors, parler, échanger. Ou simplement profiter des arbres, des lacs et des rivières en prenant des journées de congé loin des médias anxiogènes.

 

Note:

1. Meta est l’entreprise qui possède Facebook, Instagram et Whatsapp.