Pourquoi nous sommes anticapitalistes

Le 7 novembre 2010.

Le capitalisme est un système économique et social qui repose sur quatre piliers idéologiques complémentaires: la propriété privée ; la recherche de profit ; la compétition ; et l'exploitation des travailleurs et travailleuses et des « ressources » naturelles).

Les anticapitalistes, par définition, s'opposent à ce système parce qu'ils et elles le jugent incompatible avec les intérêts à court, moyen et long terme des communautés humaines et non humaines, ainsi que des écosystèmes dont celles-ci dépendent. De façon générale, au modèle illustré ci-dessus les anticapitalistes cherchent à développer et mettre en pratique des modèles fondés sur un partage équitable des richesses, l'entraide et la coopération, un profond respect de l'environnement et des modes et moyens de production et d'échange dont les travailleurs et travailleuses (et par extension, les communautés qu'ils et elles forment) seraient en plein et souverain contrôle.

La mouvance anticapitaliste n'est pas monolithique : elle est formée de plusieurs tendances et déclinaisons. Le soi-disant « mouvement des mouvements » qui a émergé organiquement de l'opposition populaire à l'idéologie néolibérale et à la mondialisation des marchés à la fin du 20è siècle, ce qu'on a par ailleurs appelé mouvement « antimondialisation », « altermondialiste » ou mouvement de justice globale, a été fortement marqué et influencé par les idées et pratiques anticapitalistes.

La Convergence des luttes anticapitalistes, quant à elle, adhère à un ensemble de principes formulés dans le cadre d'une coordination internationale anticapitaliste et anti-autoritaire appelée Action mondiale des peuples. La CLAC s'inscrit donc dans une perspective et une logique anti-autoritaires.

Le capitalisme comme régime d'exploitation systématique

Si l’on demandait à cent anticapitalistes les raisons pour lesquelles ils/elles s’identifient de la sorte, il y a fort à parier qu’on obtiendrait une centaine de variations sur un thème central : l’exploitation.

L’esclavage n’a jamais disparu. En fait, depuis que l'esclavage a été officiellement aboli dans les nations soi-disant civilisées de l'Occident, l'esclavage s'est transformé pour prendre une multitude de formes subtiles et pernicieuses d'exploitation légale. Le développement du capitalisme industriel et post-industriel a systématisé l'esclavage et l'exploitation. Dans les faits, l'absurde course au développement économique illimité serait tout simplement impossible sans l'exploitation généralisée et l'épuisement des « ressources » humaines et naturelles.

À l'exploitation de la classe ouvrière par la classe possédante, ou des pauvres par les riches (le schéma classique de la guerre des classes à l'ère industrielle), les anticapitalistes contemporains associent l'ensemble des formes d'exploitation liées à ce que nous appelons « l'apartheid global », soit le contrôle des ressources et du développement concentré dans les mains d'une élite minoritaire, principalement d'origine blanche et euro-américaine. En d'autres termes, la direction de la mondialisation capitaliste est principalement déterminée par des mécanismes et institutions (G8/G20, FMI, Banque mondiale, OMC, etc.) contrôlées par une clique d' « hommes riches blancs », qui agissent en fonction de leurs intérêts de classe.

Ainsi, dans le modèle néolibéral, soit la version la plus poussée de l'économie de marchés capitaliste, les dés sont pipés en faveur des pays les plus riches et des économies nationales les plus « développées », qui sont libres d'exploiter la main-d'œuvre bon marché et de s'approprier les « ressources » naturelles des pays du Sud global, sans pour autant devoir respecter leurs propres normes en matière de droit du travail ou d'environnement. On voit ainsi se multiplier au Sud les ateliers de misère (où s'échinent principalement des femmes et des enfants, sans aucune sécurité) et des chantiers d'extraction (mines, forages, mégaplantations, etc.) administrées au profit des puissantes transnationales.

En même temps, là où les biens de consommation circulent librement du Sud vers le Nord, la circulation des personnes est hyper contrôlée, ce qui pousse les plus pauvres à risquer leur vie afin de contourner les canaux d'immigration réguliers pour chercher de l'emploi dans l'économie parallèle des pays riches, là encore sans sécurité. La seule alternative réside souvent dans les « programmes de travailleurs étrangers », gérés par l'État, par lesquels les travailleurs et travailleuses renoncent à la sécurité d'emploi en échange d'un travail éreintant comme domestique ou ouvrier agricole, sans les bénéfices liés à un statut de résidentE permanentE.

Selon la même logique d'exploitation, les sociétés transnationales des pays riches sont libre de s'implanter où elles veulent pour extraire des matières premières qu'elles exportent ensuite vers les secteurs manufacturiers des pays industrialisés pour être transformées et mises en marché. L'extraction massive des matières premières, souvent soumises à des normes laxistes et supervisée par des fonctionnaires corrompus, génère énormément de pollution et ruine les milieux naturels et les modes de vie traditionnels des populations locales, qui sont régulièrement poussées à l'exil et précipitées dans la pauvreté. En retour, cette pauvreté forcée en pousse plusieurs dans le cycle vicieux et périlleux de l'immigration « illégale ».

Le capitalisme soutient également l'exploitation industrielle des animaux, notamment en favorisant la surconsommation de produits animaux. En plus de maintenir l'esclavage systématique des animaux, l'agriculture industrielle est le plus important facteur de dégradation de l'environnement et la principale source de réchauffement climatique à l'échelle globale. D’autre part l’agro-industrie, qui est le modèle capitaliste de l’agriculture, concentre encore plus les terres aux mains de quelques grands propriétaires et multinationales en convertissant celles-ci en immenses monocultures destinées à l’exportation, dépossédant ainsi les communautés paysannes de leurs moyens de subsistance (et souvent les chassant littéralement de leurs foyers pour voler leurs terres), détruisant les économies locales et la souveraineté alimentaire nationales des pays du Sud et condamnant ainsi les populations à la famine, ainsi que des pays entiers à la dépendance alimentaire envers les géants de l’agro-business.

L'exploitation systématique, condition sine qua non et quatrième pilier du régime capitaliste, s'avère donc le principal moteur d'une civilisation envahissante qui détruit tout sur son passage au nom du progrès et du développement.

C'est dans ce contexte que s'est développé la mouvance anticapitaliste contemporaine.

Pour une coexistence viable en dehors du capitalisme

Il faudrait plusieurs volumes pour faire l'inventaire des horreurs du système capitaliste, mais quelques lignes suffisent à démontrer pourquoi il est nécessaire de s'y opposer.

Le problème, qui se pose aujourd'hui à touTEs les anticapitalistes, est de proposer des solutions de rechange. Malheureusement, dans un monde où les mécanismes du marché déterminent chacun de nos choix de vie et de consommation, il est devient extrêmement difficile d'imaginer des alternatives pratiques.

Il importe pour ce faire d'étudier les modèles qui ont précédé l'hégémonie capitaliste (et parfois prospéré en parallèle), des modèles fondés notamment sur la proximité, la communauté, le partage et l'entraide. L'expérience des communautés autochtones zapatistes du Mexique, par exemple, pourraient servir de modèle positif, avec l'importance donnée à l'autonomie vis-à-vis de l'État, à l'économie de subsistance et aux formes de gouvernance axées sur la responsabilité plutôt que sur le privilège.

Il faudrait également arriver à synthétiser la théorie anticapitaliste de la production (marxisme, conseils ouvriers, autogestion, etc.) avec une critique rationnelle de la civilisation occidentale, y compris une critique du cycle exploitation/production/consommation. Ce questionnement fondamental doit porter une remise en question de la domination exercée par l'humain sur le monde naturel et lui substituer une recherche honnête d'osmose et d'équilibre.

Finalement, il est nécessaire de s'interroger sur les moyens d'introduire plus profondément les modes d'organisation autonome, affinitaire et anti-autoritaire dans les pratiques sociales contemporaines, qui sont habituellement axées sur la construction de vastes mouvements sociaux et de contre-pouvoirs politiques au sein même du modèle hégémonique.

Ce n’est qu’en remettant radicalement en question les mécanismes d’oppression de la société capitaliste et patriarcale, en reconnaissant comment les oppressions de classe, de genre et de race se renforcent mutuellement et nous empilent les uns sur les autres dans cette immense Tour de Babel, que les anticapitalistes pourront proposer et construire des alternatives qui mettent en pratique des relations humaines et sociales libérées de ces oppressions. L’autre société que nous proposons en tant que libertaires n’est pas quelque chose à conquérir, mais quelque chose à construire, que nous pouvons et devons commencer à construire dès aujourd’hui, tout en nous afférant à détruire les bases du système capitaliste pour permettre l’épanouissement de tous et toutes dans la dignité.