Écoblanchissez votre écocide avec Paolo

Pour bien partir un projet d’écoblanchiment, il faut essayer de rendre verte la chose la plus polluante possible. Ça serait possible de penser à des projets qui sont un peu verts, comme une usine de térébenthine, mais c’est justement ça le problème : comme ça vient d’une plante, il n’y a aucun défi, tout le monde sait déjà que c’est pas mal vert. Il faut voir grand, parce que ça fait longtemps que les pétrolières tentent de vendre du gaz comme « l’essence de dame nature ». Il faut penser à des affaires qu’iels veulent même pas à l’écocentre. C’est pourquoi j’ai essayé avec une usine de batterie : juste des minéraux super-raffinés, qui viennent du bout du monde pour être mis dans des contenants en métal et en plastique. Pis en plus, c’est dangereux: une fois que ça pogne en feu ça ne s’éteint plus, comme les voitures de Tesla.

C’est important aussi de penser à la chaîne de distribution de tes produits, pour qu’ils soient pas seulement polluants en soi. Il faut bien de s’assurer de contaminer toute la chaîne de production. Les autos électriques n’ont aucun standard pour les batteries, donc si une batterie cesse de fonctionner, on ne peut pas simplement la remplacer avec une autre d’un autre modèle. Comme ça on est sûrs de maximiser le gaspillage. Rappelle-toi : qui risque rien n’a rien. Quand on part son projet d’écoblanchiment avec un projet presque tolérable au départ, on a à peine besoin de se justifier et c’est vraiment pas satisfaisant au final, c’est comme si on n’avait pas vraiment besoin de manipuler le monde avec des pubs douteuses.

Une stratégie qui est souvent gagnante dans un projet d’écoblanchiment, c’est de trouver des solutions individuelles à des problèmes collectifs. En effet, ça facilite vraiment le gaspillage quand on encourage à ce que chacun·e gère ses petites affaires. C’est comme les projets DIY : si tout le monde s’achète une perceuse pis une scie radiale pour faire un meuble en palette une fois dans sa vie, on réussit à faire pas mal plus de gaspillage que si on s’achetait juste des meubles usagés. C’est la même chose en transport : si on organise les quartiers autour des autoroutes et des stationnements plutôt qu’autour des stations de transport en commun, les urbanistes ont montré qu’on pouvait réduire la capacité de transport des habitant·e·s, et l’amener à 30%, voire même 20% de sa capacité actuelle. Un char vide et stationné 95% du temps pi un métro plein en permanence, c’est là la différence. Mais plus tu transportes efficacement les gens, moins tu fais du cash... Pis en plus, l’auto-solo fait plein de gaspillage extra, puisqu’il faut que le monde paye pour des pneus d’hiver, le déneigement de leur cour, un abri-tempo et même une souffleuse... D’autant plus d’occasions de start-up d’écoblanchiment!

Mais attends, t’as pas encore vu le meilleur : ça s’arrête pas au char, les solutions individuelles aux problèmes collectifs. En effet, on peut faire des miracles en disant au monde que leur santé c’est pas lié à l’environnement, mais à leurs gènes. On peut aussi dire que l’éducation c’est un investissement. Ça a l’air abstrait, mais ça permet de continuer à vendre des aliments mauvais pour la santé, parce que c’est aux individus à bien manger. De la même façon, la société doit passer sa connaissance d’une génération à l’autre, mais c’est pas mal plus payant quand on fait à croire au monde qui vont à l’école qu’iels investissent dans leur futur. Comme si une société pouvait vivre sans passer sa connaissance d’une génération à l’autre, comme si la société pouvait se perpétuer sans personne pour expliquer à la génération suivante comment réparer un évier, arracher une dent, construire une maison, ou bien soigner un cancer.

La deuxième étape pour faire un projet d’écoblanchiment, c’est de former la tache verte. La tache verte, ça va être les éléments que toi et ton équipe des relations publiques allez toujours ramener dans les médias pour faire comme si tout le projet était vert. La tache verte a pas besoin d’être grosse : en fait, tel que mentionné précédemment, si tout le projet était vert, on n’aurait pas besoin de faire d’écoblanchiment. Donc, plus la tache verte est petite, mieux c’est. Ces éléments verts n’ont pas besoin d’être vraiment verts, les consommateur·rice·s ne voient pas tant les nuances. Même qu’au contraire, si les autos électriques sauvent moins d’énergie qu’un autobus au diésel, c’est une bonne chose, parce qu’encore une fois, moins la tache est verte, plus vous devrez travailler pour l’écoblanchir. Si vous manquez d’éléments pour la tache verte, vous aurez juste à improviser plus tard.

Tu as enfin la mise en place de faite : tu as un crisse de bon plan pour saccager la planète pis une couple de mauvaises raisons de le faire. C’est mon moment préféré de l’écoblanchiment : on sort les pépines et les scies mécaniques, pis on fait semblant d’être surpris·e·s quand les écologistes se fâchent. Le plus drôle c’est de penser à comment les lois environnementales sont mal chiées : on a le droit de couper les arbres avant que les oiseaux reviennent, mais pas de détruire leur nids une fois qu’ils les ont faits. Donc, c’est correct de tuer les oiseaux en les envoyant surpeupler les champs agricoles autour, mais pas de tuer leurs oeufs directement. Rappelle- toi de la tache verte : il faut seulement mettre l’emphase sur le minuscule morceau vert du monstre que vous essayez de passer au public. Répéter, c’est pédagogique, alors dites en boucle que l’auto électrique est nécessaire pour la transition énergétique. Si vous êtes bon·ne·s pour improviser, vous pouvez sûrement faire mieux que moi. Moi, je répétais qu’on respecte toutes les règles environnementales, comme si les lois protégeaient l’environnement. Mais là j’me suis fait avoir parce que le ministre de l’environnement a été ouvrir sa gueule sur le fait qu’iels avaient changé les règles pour notre usine. Malgré tout, j’ai fait faire 2-3 sondages, pis j’ai fait publier le seul qui disait que 53% des gens étaient d’accord avec le projet. C’est comme quand j’étais au secondaire, ça passait sur la fesse.

Mais voilà, c’est comme ça que j’ai pu vendre un écocide total comme un projet éco-gentil. N’hésitez pas à essayer de faire la même chose près de chez vous! Y reste encore presque 2 mois d’hiver à Montréal, ça va être ben plus confortable si on accélère la crise climatique.

 

 

Paolo Cerruti est le co-fondateur de Northvolt, l’entreprise qui veut construire une usine de batteries de voitures électriques dans un terrain boisé de McMasterville, en banlieue de Montréal.

Le projet d’usine a été avalisé et subventionné à coup de 7 milliards $ par les gouvernements, et ce, sans évaluation environnementale du BAPE. Le BAPE ne fait pas qu’évaluer si le projet se construit de manière écologique, mais aussi si le but du projet lui-même est écologique. Tout laisse croire que la construction va détruire des milieux humides et boisés pleins d’espèces menacées. Mais la question se pose aussi à savoir comment toutes ces batteries seront chargées, vu que la très grande majorité de l’électricité dans le monde est produite à partir de combustibles fossiles. Au soi-disant Québec, 99 % de l’électricité produite est de l’hydroélectricité, produite grâce à l’inondation et à la destruction de territoires autochtones non-cédés.