Sur le respect de la diversité des tactiques

Depuis une dizaine d'années, les mobilisations populaires contre les figures et institutions de la mondialisation capitaliste ont été ponctuées de débats et de chicanes autour de ce qui est maintenant convenu d'appeler « la diversité des tactiques ». Au sein de la Convergence des luttes anticapitalistes, ce questionnement collectif a été pratiquement épuisé (en faveur du respect de la diversité des tactiques) à l'époque des mobilisations contre le Sommet des Amériques d'avril 2001 et la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA).

Mais pourquoi la CLAC (ainsi qu'une grande partie des mouvements anticapitalistes de base) s'attache-t-elle encore à ce principe, malgré le barrage de critiques qui se déchaînent aussi bien à gauche qu'à droite lors des mobilisations comme celles qui ont récemment marqué le Sommet du G20 à Toronto ? Le présent texte tente une réponse sommaire à cette question cruciale.


Ce que n'est pas la diversité des tactiques

Il convient d'abord de rappeler que ce dont il est réellement question, c'est du RESPECT de la diversité des tactiques dans le cadre de nos campagnes d'action et de mobilisation. Il n'est donc pas question pour une coalition d'affinité comme la CLAC, comme certains démagogues se sont d'ailleurs plu à le suggérer, d'endosser complètement toutes formes d'action sans jugement critique.

À ce titre, on a pu lire récemment sous la plume des commentateurs réactionnaires (et de certains réformistes en mal d'attention…) que la formule « diversité des tactiques » serviraient de « code » et signalerait en réalité un feu vert au free-for-all, c'est-à-dire aux actes de violence aléatoires et inconsidérés. Cette interprétation « conspirationniste » (une autre notion à la mode ces temps-ci) trahit soit une compréhension oblique du concept, soit une mauvaise foi crasse et calculée, soit un mélange toxique des deux.

Pourtant, la formule est plutôt sans équivoque : les individus, collectifs et organismes qui s'unissent pour mener campagne s'engagent à respecter la DIVERSITÉ (caractère, état de ce qui est divers ) des TACTIQUES (ensemble des moyens coordonnés que l'on emploie pour parvenir à un résultat ) déployées dans le cadre de ladite campagne. Reste alors à définir le RÉSULTAT collectivement escompté. Malheureusement, tout le monde ne s'entend pas là-dessus…


Anticapitalisme et réformisme : des intérêts irréconciliables ?

De façon générale, les mouvements anticapitalistes cherchent, dans un premier temps, à démontrer le caractère illégitime des États et institutions qui promeuvent, régulent et régissent la mondialisation capitaliste et, dans un second temps, à abolir ces États et institutions pour leur substituer des modèles de co-existence qui mettent en valeur l'entraide, le respect de la vie, la justice sociale, l'égalité et la préservation de l'environnement plutôt que la recherche aveugle de profit et le prétendu développement économique.

Le problème est que certaines institutions, comme le cirque ambulant du G20, n'attirent pas seulement l'opposition des anticapitalistes, mais également celle de groupes réformistes qui, eux, n'aspirent tout simplement pas aux mêmes résultats. C'est pourquoi il n'est pas rare que des figures influentes des organisations réformistes refusent d'adhérer au principe de diversité des tactiques et n'hésitent pas à dénoncer les actions illégales que d'autres éléments du mouvement considèrent légitimes et nécessaires.

On touche ici au débat sur l'emploi de la violence et le recours aux actions illégales de désobéissance.


Sur la légitimité (de l'État et de la désobéissance)

L'État peut se définir, entre autre, par le monopole qu'il s'arroge sur l'usage de la violence physique prétendue légitime. C'est en vertu de ce prétendu « contrat tacite » entre la classe dirigeante et la population que le gouvernement peut déployer la police et/ou l'armée afin de protéger les riches et leurs intérêts, comme on a pu le constater spectaculairement lors du récent sommet. Or ce prétendu monopole est considéré parfaitement illégitime par les anarchistes, certains communistes et même une grande partie de la population dite civile. Il en va de même de la notion de « légalité », c.-à-d. la légitimité présumée des lois et des institutions mises en place pour les faire respecter. Pour la majorité des anticapitalistes, les lois sont perçues comme un ensemble de mécanismes mis en place par les riches pour défendre leurs propres intérêts.

D'un autre côté, les institutions soi-disant progressistes de la société dite civile (ONG, syndicats, gauche électoraliste, milieu communautaire, etc.), généralement réformistes, dépendent littéralement de leur adhérence aux mécanismes, institutions et obligations imposés par la culture politique dominante, y compris la « légalité » et le monopole de la violence.

Entre ces deux pôles se trouve toute une nébuleuse d'acteurs sociaux plus ou moins contestataires qui ont diverses raisons de s'opposer à divers aspects de la mondialisation capitaliste et ses institutions.

En termes de tactiques, au fil de l'histoire, la dissidence et la contestation (et conséquemment les avancées sociales) s'est toujours manifestée par la désobéissance civile : parfois de façon non violente, parfois de façon violente.

Là où les institutions soi-disant progressistes n'hésitent pas à inscrire leurs campagnes et actions dans le cadre d'une contestation purement symbolique (manifestations encadrées, moyens de pression non violents, etc.), rejetant explicitement tout recours aux actions illégales ou violentes, d'autres considèrent que cette position revient à accommoder implicitement les intérêts de l'État et de la classe dominante et, en quelque sorte, à légitimer l'illégitime.


Ce qu'est la diversité des tactiques

Ainsi, le respect de la diversité des tactiques se présente comme un principe fondamentalement anti-autoritaire, en vertu duquel les organisateurs et organisatrices des campagnes d'action et de mobilisation anticapitalistes reconnaissent la diversité des acteurs de la dissidence et de la contestation, d'une part, et l'illégitimité de l'État capitaliste et de ses institutions, d'autre part. Sur la base de ce constat de diversité (que chaque personne agit en fonction de sa propre expérience, de ses propres convictions, du niveau de risque qu'elle juge acceptable, etc.) ils et elles se refusent à porter un jugement de valeur sur les formes d'actions privilégiées par lesdits acteurs.

Pour être clair, la CLAC ne se complait pas dans la glorification de la violence insurrectionnelle ou révolutionnaire : elle s'oppose tout autant à l'usage dogmatique ou romantique de la violence qu'à la non violence dogmatique. Mais la CLAC estime que les moyens d'action directe contre l'État, les institutions du capitalisme global, les sociétés transnationales et les forces de police déployées pour en défendre les intérêts, sont tout à fait légitimes.


En conclusion

Essentiellement, tout le débat revient à l'importance que l'on accorde collectivement à deux concepts-clés : la légitimité (de l'État, du capitalisme, de la police, d'une part ; des actions de désobéissance et de dissidence, d'autre part) ; et la stratégie (la coordination des tactiques déployées en vue d'atteindre un objectif commun).

Il se trouve que si nous avons une assez bonne compréhension des forces en présence et des intérêts qui les sous-tendent (la légitimité des tactiques déployées), nous n'avons toujours pas réussi à définir pour nos mouvements une série d'objectifs clairs et de moyens de coordination efficaces pour les atteindre (la stratégie nécessaire).

En d'autres termes, il serait peut-être temps pour le mouvement anticapitaliste d'ouvrir un nouvel examen de conscience sur la complémentarité des tactiques et, par voie de conséquence, sur la nécessité de définir des objectifs concrets et une stratégie commune pragmatique.


Plus de lecture:

MALATESTA, Errico: Anarchism & Violence
http://www.zabalaza.net/pdfs/varpams/anok&violence_em.pdf
CHURCHILL, Ward: Pacifism as Pathology: Reflections on the Role of Armed Struggle in North America
http://wiki.cambridgeaction.net/images/c/c7/Pacifism_As_Pathology.pdf
GELDERLOOS, Peter: How Nonviolence Protects The State
http://zinelibrary.info/files/How%20Nonviolence%20Protects%20The%20State...