Diversité des tactiques

La diversité des tactiques est avant tout une reconnaissance des différentes approches. Une reconnaissance des différents modes d’action employés pour mener à bien nos luttes. C’est de reconnaître que nous pouvons être en désaccord sur les moyens, mais que nous œuvrons pour une même cause. En ce sens, la lutte pour la justice climatique mobilise autant de consciences que de méthodes : la manifestation, la grève, le lobbyisme, la désobéissance civile, les sit-in, les ateliers d’éducation populaire, les activités de perturbation, le vote, etc. Certaines de ces approches peuvent paraître antagonistes, mais elles sont complémentaires. Ce qui fait la force de notre mouvement, c’est sa diversité. C’est de reconnaître et de respecter les différentes approches. C’est de rester solidaires et d’encourager la communication entre les groupes. C’est de respecter les militant·e·s dans leurs choix et leur permettre de s’impliquer au maximum pour la cause. Ce respect de la diversité s’étend aussi à certaines approches considérées comme violentes par le pouvoir. Il importe de se questionner sur ce spectre de la violence et sur la légitimité de différentes formes de réponses politiques aux attaques du système capitaliste, incluant des moyens plus violents.

En opposant des approches plus combatives à d’autres non-violentes, on joue le jeu des puissants. Un jeu dont l’objectif serait la recherche d’un absolu, mais qui finalement ne fait que restreindre l’autonomie des militant·e·s et diviser le mouvement. Un débat qui se joue sur un fond dogmatique qui oublie souvent les motivations et les fondements de nos luttes. Si le recours à la violence politique en rebute plusieurs, avant d’émettre un jugement, il est impératif de mettre en comparaison les violences militantes avec les brutalités systémiques actuelles.

Les violences systémiques sont omniprésentes dans notre société ; le problème, c’est que nous ne les nommons pas comme telles. Nous avons une hypersensibilité à la violence spectaculaire. Nous sommes ultras réceptifs quand il s’agit de violences individuelles. Nous avons de fortes réactions quand nous voyons un humain s’en prendre à l’intégrité physique, psychologique ou morale d’un autre humain. Face à cette violence individuelle, nous éprouvons un fort sentiment d’injustice et une volonté d’enrayer cette violence. Instinctivement, nous nous y opposons, car elle n’a pas sa raison d’être, elle n’est pas juste, car nous ne voulons pas d’une société où la violence est tolérée et normalisée. Pourtant, la violence est bien normalisée dans nos sociétés, mais d’une manière plus insidieuse. Tout en étant hypersensibles aux violences individuelles, nous sommes complètement insensibles aux violences de masses. Des violences structurelles et systémiques que nous ne nommons pas, commises par un système qui est passé au rang de maître dans l’art de les occulter.

Prenons comme exemple le téléphone cellulaire. Un objet courant qui, en fin de compte, est lui- même un concentré de violence. De sa création jusqu’à son arrivée dans nos poches, son cheminement est un parcours excessivement violent. Partant des guerres pour les territoires riches en ressources, en passant par l’esclavage dans les mines, puis par le transport dans les cales insalubres des porte-conteneurs, fabriqué dans des usines aux conditions misérables jusqu’à ce que ledit cellulaire soit vendu par un commis au salaire minimum pour enfin finir dans nos poches.

Ce processus de fabrication s’étend à l’ensemble des objets qui nous entourent. Comme Marx l’annonçait dans son temps ; « la richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une immense accumulation de marchandises ». Alors, nous vivons dans une société où s’annonce une immense accumulation de violence.

Le système économique mondialisé accable et écrase des millions d’êtres humains et nous n’avons pas besoin de nous expatrier pour constater ces violences systémiques. Le patriarcat, le racisme, les valeurs hétéronormatives, les inégalités de richesses et la destruction de l’environnement sont des maux plus que présents dans notre société. Des maux discrets, souvent invisibles, mais implacablement violents.

Sans possibilités de dénoncer ou de faire cesser cette brutalité systémique, il est compréhensible qu’un sentiment de révolte, voire une volonté révolutionnaire prennent forme. Elle se manifeste par le biais de techniques plus combatives, qu’on qualifie souvent de violentes, mais qui représentent en fait une contre- violence. Contre-violence, car elle s’inscrit dans un contexte. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’émeute est le langage des sans-voix ». Ces mots, prononcés par Martin Luther King rappellent que la contre-violence est animée d’une volonté de mettre un terme aux violences systémiques, mère de toutes les autres. Il serait donc hypocrite et de mauvaise foi de monter aux barricades dénoncer le vandalisme des statues des pires colonisateurs ou le bris de vitrines des multinationales perpétrant des écocides tout en éclipsant les violences structurelles dont elles sont responsables.

Il est important de comprendre que les partisan·e·s de tactiques plus offensives ne sont pas des fanatiques de la violence. Iels ne sont pas non plus en opposition avec les tactiques non- violentes. Iels considèrent seulement que certaines tactiques sont plus adaptées que d’autres. Les tactiques doivent être choisies en fonction de l’objectif voulu, non pas en fonction d’un code moral dit universel de non-violence. Un code moral autoritaire qui ne respecte pas l’autonomie des groupes et des individus. Si nous voulons un changement radical, nous devons éviter de tomber dans le piège d’une soi-disante dualité violente/non-violente. Nous devons comprendre que ce qui fait l’intelligence et la force de nos mouvements, c’est la complémentarité de ses approches. Une diversité des tactiques libérée de préjugés. Une diversité des tactiques inclusive, ouverte aux débats et aux critiques.