Éditorial

GRÈVE GÉNÉRALE ILLIMITÉE. Trois mots, une idée toute simple, un potentiel titillant. La GGI conjure des scènes inspirantes d'occupations prolongées, de confrontations épiques et de foules enhardies déferlant dans les rues. Drapeaux rouges et noirs claquant dans le vent et barricades courageusement défendues. Tout ça et plus, camarades...

Et pourtant, on a encore du mal, dans le mouvement étudiant et plus largement dans la société, à s'entendre sur la validité d'une revendication aussi élémentaire que le maintien du gel des frais de scolarité. On est loin des barricades et des lendemains qui chantent...

Mais ne serait-ce que pour l'exercice, est-il permis de croire que la lutte contre la hausse des frais de scolarité au Québec puisse être l'étincelle qui fera rejaillir le feu de la contestation et de la solidarité sociale en 2012 ? Pour répondre par l'affirmative à cette question, il faudrait encore que le mouvement de grève réunisse un ensemble de conditions fondamentales. À défaut de quoi la grève de 2012 ne sera qu'un soubresaut, certes divertissant, mais au final impuissant, contre la mainmise irrémédiable du capitalisme sur l'éducation au Québec.

- D'entrée de jeu, cette lutte doit endosser et refléter un rejet clair et inconditionnel du capitalisme et de ses institutions. Il n'y a rien de tel qu'un capitalisme éthique ou à visage humain. Toute proposition en ce sens n'est que diversion visant à retarder l'articulation et la mise en oeuvre d'alternatives authentiques et viables. Toute défense du système capitaliste sert objectivement à préserver le status quo et signale une position de privilège. Un paradigme d'éducation publique qui répond en priorité aux prétendus impératifs du système capitaliste plutôt qu'aux intérêts et aspirations à long terme de l'ensemble de la société doit être aboli et remplacé par un modèle qui sert justement lesdits intérêts et aspirations.

- La lutte étudiante doit donc dépasser le simple stade de la revendication pour s'ancrer dans une logique de rupture. Il ne s'agit plus de quémander des miettes, mais de prendre ce qui nous est dû. Il ne s'agit pas non plus d'exiger des réarrangements d'ordre cosmétique, mais de mettre en oeuvre des transformations fondamentales. La gratuité universelle en éducation s'impose donc comme prémisse non négociable. Les fausses solutions et les diktats d'austérité doivent être réfutés systématiquement.

- Par leur férocité, leur témérité et leur diversité, les moyens d'action choisis doivent exprimer cette détermination à transformer radicalement la société et à redéfinir la place qu'y occupe l'éducation. Au-delà des considérations légales ou morales, quand vient le temps de déterminer nos moyens d'action, la principale question doit TOUJOURS être : qu'est-ce qui est efficace ? Autrement dit, quels sont les moyens qui nous permettent d'atteindre nos buts.

- Les inévitables traîtres qui polluent et sabotent la contestation (les opportunistes habituels, vire-capots et porte-étendards officiels des fédés corporatistes) doivent être cernés et mis en échec avant d'avoir eu le temps de causer des dommages irréparables au mouvement et à la cause. L'histoire présente une fâcheuse tendance à se répéter. Il revient donc aux authentiques protagonistes de la lutte d'en tenir compte et de redoubler de vigilance.

- Le mouvement de lutte des étudiants et étudiantes doit aussi éviter le piège de se développer en silo, isolé des autres domaines de lutte sociale. Les mouvements étudiants populaires ont historiquement participé à animer et propager une certaine conscience de classe en s'inscrivant auprès des travailleurs et travailleuses, et auprès des pauvres, dans la lutte à finir contre la classe possédante/dirigeante. Cette guerre séculaire a toujours eu pour objet la perpétuation, ou la cessation, de l'exploitation économique et de la marginalisation systémique. L'analyse du mouvement étudiant (malgré la diversité de sa composition) doit nécessairement exprimer cette conscience de classe, sans quoi elle se condamne à l'isolement et à l'indifférence.

- Dans le même ordre d'idée, pour être conséquent avec ses visées émancipatrices, le mouvement étudiant doit adopter une analyse et une démarche antipatriarcale, antiraciste et anticoloniale. La libération de l'éducation doit être un projet d'émancipation de tous et toutes pour un avenir viable et éclairé, libéré de toutes formes de discriminations fondées sur le genre, le sexe et l'orientation sexuelle, la « race », l'origine ou l'identité ethnique, les capacités physiques ou mentales, etc. Il est également essentiel que le mouvement reconnaisse l'histoire coloniale du Québec et du Canada et le fait que, par exemple, « nos » écoles et institutions académiques sont construites sur des terres volées. L'ensemble complexe des privilèges intrinsèques à la société (suprématie) blanche occidentale ne doivent plus jamais être ignorés ou minimisés, et toute lutte d'émancipation, quelle qu'elle soit, se doit d'en tenir compte dans ses fondements mêmes.

- Libérer l'éducation est par ailleurs inutile si l'on ne s'attache pas également à libérer le monde naturel des griffes de l'industrie et de ses prétendus impératifs de développement économique. Ne perdons jamais de vue que c'est d'abord et avant tout pour un monde viable que nous nous battons. Littéralement, pour la survie du monde. Pour de l'air frais, de l'eau potable et des aliments sains. Pour des rapports équilibrés et symbiotiques avec nos environnements. Pour la santé durable de nos familles et de nos communautés.

Tout ça est impensable, impossible, sans une rupture claire et nette avec la gestion capitaliste de nos vies. Vraisemblablement, cette rupture ne pourra s'opérer que par une solidarité sociale élargie et, notamment, par la participation hardie et déterminée d'une jeunesse lucide, instruite et informée. C'est pourquoi la libération de l'éducation est urgente et impérative.

Donc, à savoir si le potentiel révolutionnaire du mouvement étudiant saurait se réaliser en 2012, la question reste ouverte... Une question plus pertinente serait peut-être de se demander pendant combien de temps encore allons-nous permettre aux hosties de crosseurs de l'économie et de la gestion capitalistes de détruire à petits feux tout ce qui nous reste, et tout ce qui nous reste d'espoir pour un avenir meilleur...