La nouvelle réalité de la précarité au travail

Le précariat « consiste en une multitude de personnes vulnérables, vivant au jour le jour, dépendant de travail à court terme. Les personnes précaires se retrouvent donc avec une portée limitée d’accès aux activités sociales, culturelles, politiques et économiques accessibles aux autres citoyenNEs1 ». Si le précariat est le lot de beaucoup de travailleuses et travailleurs atypiques (autonomes sans subvention, en agence, pigistes, contractuelles, stagiaires, temps partiel, travail dit « étudiant »2), il est aussi de plus en plus présent chez les travailleuses et travailleurs dits « typiques » travaillant dans des secteurs en voie de dérèglementation (commerce, hôtellerie, restauration) et des régimes d’exception (comme l’agriculture). Les précaires se caractérisent comme pauvres autant en argent qu’en temps : la précarité de leur emploi exigeant des efforts supplémentaires, plus qu’un emploi traditionnel, pour assurer un continuum de travail/rémunération (recherche de contrats, bénévolat obligatoire, etc.).

La quantité de travail précaire est en hausse fulgurante depuis la crise économique de 20083. La raréfaction du travail causée par l’automatisation couplée avec l’éternel besoin de dégager des profits pour une minorité de riches mégalomanes cible toujours la même victime, soit la travailleuse et le travailleur. Le besoin de travailler pour survivre dans une économie où le travail se fait plus rare fait qu’une personne précaire peut être prête à sacrifier beaucoup afin de conserver son emploi, notamment le respect de ses droits.

Les employeurs, de leur côté, font la promotion de ce type de travail en vantant la liberté du travail atypique, fer de lance de l’économie flexible (ex. : flux tendu4) et du travail par projet (ex. : approche californienne5). Le flux tendu est une méthode d’organisation du travail qui diminue ses coûts de production en limitant les surplus de stock et en organisant sa production autour de la demande du marché. Les besoins en main-d’œuvre étant régulés en fonction de la demande, l’organisation en flux tendu vient à encourager la création d’emplois temporaires et/ou à temps partiel et favorise par le même fait le précariat. L’Institut économique de Montréal (IEDM) est d’ailleurs friand de ce type d’économie6.

Les employeurs taisent en effet le fait que ces emplois atypiques sont de plus en plus précaires, offrant rarement une permanence, et se révèlent être un véritable casse-tête pour les travailleuses et travailleurs lorsqu’il est temps de réclamer certains droits du travail (syndicalisation, congédiement sans cause, absences pour maladie, vacances, équité salariale, chômage). Il revient alors souvent aux tribunaux de décider du sort des travailleurs et travailleuses et de leurs droits. Comme les personnes au statut précaire n’ont pas le temps ni les moyens de défendre leurs droits, cette nouvelle réalité fait d’eux et elles les grandes perdantes.

En conclusion, la liberté du travail précaire, vantée par le patronat, c’est la liberté de crever de faim.

Riposte : la solidarisation des précaires CertainEs analystes économiques et autres « expertEs » présenteront la situation du travail atypique et précaire comme une nécessité d’un marché du travail en évolution. Cette « évolution » avantage le patronat à travers une main-d’œuvre soumise, ayant un coût en avantages sociaux réduit, des salaires moins élevés et une tendance moins fréquente à défendre ses droits.

Selon ces pseudo-expertEs, les travailleurs et les travailleuses en profiteraient aussi parce qu’ils et elles ont des familles à supporter, sont étudiantEs, préretraitéEs, immigrantEs, etc. Soit, des catégories de travailleurs et travailleuses qui ont, dit-on, besoin d’une forme de travail flexible. Avec ce type de réflexion, il est facile d’oublier que si ces catégories de personnes ont tant besoin d’un travail précaire et atypique pour arriver à satisfaire leurs obligations, c’est que la régulation du marché du travail, les lois sociales et la reconnaissance du travail de cette main- d’œuvre sont inadaptées à leur réalité.

Les familles auraient-elles besoin d’un emploi à temps partiel si les lois régulant le travail étaient compatibles avec leurs obligations familiales? Les étudiantes travailleraient-elles plusieurs années dans leur « emploi étudiant » si leurs stages et leurs études étaient reconnus comme un véritable travail et rémunérés en conséquence? Les retraités et les préretraités travailleraient-ils jusqu’à leur mort si les prestations de retraite et de revenu garanti étaient suffisamment décentes pour leur permettre de vivre? Les immigrantes seraient-elles obligées d’accepter des emplois précaires et à bas salaire si leur expertise acquise ailleurs était reconnue?

Face à tous ces employeurs véreux qui ne recherchent que la maximisation de leurs profits, il est nécessaire d’encourager la solidarité entre employéEs précaires, notamment par l’auto-organisation et la résistance dans les milieux de travail. Les employeurs poussent aux emplois précaires, car cela force les employéEs à être en compétition les unEs avec les autres. Tant que les précaires sont obligéEs de se battre contre leurs camarades pour survivre, elles et ils ne peuvent pas se battre contre ces riches crosseurs capitalistes. Cette compétition enrichit nos milliardaires, qui en profitent pour niveler vers le bas salaires et conditions de travail. La solution ne peut être que dans la solidarité et dans les luttes communes.

Notes :
1. Guy Standing « The Precariat – The New Dangerous Class », Policy Network, 24 mai 2011, URL : http://bit.ly/13E8Ppv

2. La catégorie de travail étudiant ne réfère pas uniquement aux stages effectués dans le cadre d’une formation scolaire, mais aussi aux étudiantEs travaillant dans un « organisme à but non lucratif et à vocation sociale ». Souvent subventionnés par le gouvernement pour des travaux d’été adressés strictement aux étudiantEs, ces emplois sont exclus du règlement sur le salaire minimum. À noter que les stages effectués dans le cadre d’une formation reconnue par la loi sont aussi exclus du règlement (voir Règlement de la loi sur les normes du travail art.2 [1] [2]).

3. La proportion du précariat varie beaucoup d’un pays à l’autre, représentant de 15 % (R.-U.) à 50 % (Japon et Corée du Sud) de la main-d’œuvre. Voir Helena Horton « The Seven Social Classes of 21st Century Britain – Where do you fit in? », The Telegraph, 7 décembre 2015, URL : http://bit.ly/1jLAzQq ; Toshihiko Ueno « ’Precariat’ workers are starting to fight for a little stability », The Japan Times, 21 juin 2007, URL : http://bit.ly/2kHouMM, Vinnie Rotandoro « The Precariat, stressed out, insecure, alienated and angry », National Catholic Reporter, 19 août 2015, URL : http://bit.ly/2lszItc

4. Voir Durand, Jean-Pierre, La chaîne invisible – Travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire.

5. Si les travailleurs et travailleuses prises dans la méthode californienne font partie des atypiques, elles et ils ne sont pas toujours à plaindre d’un point de vue salarial, surtout dans les secteurs de la technologie et du marketing.

6. « Les avantages d’un marché flexible », partie des notes économiques de 2013, Institut Économique de Montréal, 2013, URL : www.iedm.org/files/note1013_fr.pdf