Le capitalisme et le travail

Depuis les débuts du capitalisme, le monde du travail a subi de nombreuses transformations et les conditions des travailleuses et des travailleurs sont constamment menacées. Cela est d’autant plus vrai avec la « financiarisation » qu’ont connue nos économies au cours des dernières décennies: dégradation des conditions de travail, augmentation de la précarité et du chômage, accessibilité de plus en plus difficile à l’assurance-emploi, diminution des protections sociales et légales en lien avec le travail, effritement de la solidarité syndicale et du rapport de force de négociation employeur/employé-e-s, perpétuation des inégalités hommes/femmes, augmentation du sentiment d’aliénation, des problèmes de santé physique et mentale en milieu de travail, etc. La détérioration des conditions de travail et la stagnation des salaires se reflètent dans la multiplication des emplois à temps partiel, forçant un nombre grandissant de personnes à cumuler plusieurs emplois pour ne serait-ce qu’arriver à joindre les deux bouts, phénomène qui touche en premier lieu les femmes.

Afin de se maintenir comme doctrine dominante sur les plans social et économique, le capitalisme doit sans cesse générer une croissance, comme nous le verrons plus loin. Et ce sont d’abord et avant tout les travailleurs et travailleuses, de par le monde entier, qui en payent le prix. Avant même que les acquis sociaux des pays « développés » n’aient eu le temps de s’étendre aux pays émergents, ils sont attaqués par l’entreprise privée (et en bonne voie de destruction!), avec la complicité de nos classes politiques, pantins au service des riches, bonzes de la finance, actionnaires de mégacorporations et autres pontifes de l’austérité. On attaque les fonds de pension, on augmente l’âge de la retraite, on adopte des lois affaiblissant les syndicats, quand ils ne sont pas simplement bannis (pensons aux États américains qui ont adopté des législations du type « Right-to-work », dont l’objectif est de donner aux travailleurs et travailleuses qui ne veulent pas adhérer à un syndicat les mêmes avantages négociés par celui-ci, dans le but de saper le pouvoir déjà vacillant des syndicats)… On met la population à genoux en adoptant des décrets qui maintiennent les salaires sous le seuil de l’inflation et, pour comble d’insulte, on la force à ramper puisque l’on coupe aussi dans les programmes sociaux, ce qui force les gens à se tourner vers le privé, les appauvrissant ainsi davantage. Non, il ne fait pas bon vivre et travailler dans une société capitaliste, du moins, pas quand on ne fait pas partie du 10 % de gens en haut de la pyramide économique!

Des conséquences de l’individualisme

Afin de prendre racine, le capitalisme affirme la primauté des droits individuels sur le bien commun. Idée alléchante pour ceux qui désirent légitimer leurs manœuvres visant à posséder toujours plus de richesses, fantasme pour ceux et celles qui y aspirent de manière irréaliste, mais persistante, encouragé-e-s par les médias et un marketing social des plus complaisants. Le résultat de cette manipulation des aspirations des êtres humains est simple: un individualisme indécrottable, même devant les situations d’inégalité les plus révoltantes.

Cet individualisme, fondement du capitalisme, a contribué fortement, et contribue toujours activement, à l’effritement de la solidarité syndicale. Or sans solidarité, pas de rapport de force, c’est bien connu! Les « fronts communs » d’aujourd’hui n’en ont que le nom, les alliances durables et fondées sur la lutte pour obtenir des gains sociaux plus larges sont de lointains souvenirs dont trop de syndicalistes se gargarisent. Le corporatisme et l’individualisme ont littéralement envahi nos syndicats. Le maraudage est la norme, et les entreprises ainsi que le gouvernement profitent pleinement de cette division pour mieux régner. Pensons simplement aux fusions forcées des unités d’accréditation dans les établissements de santé et services sociaux en 2004. Les cicatrices laissées par les joutes de pouvoir entre les différents grands syndicats pour la mainmise sur ce lucratif bassin de cotisant-e-s ont entraîné un affaiblissement de la capacité collective de négocier.

Le décret infâme de 2005, avec lequel le gouvernement a unilatéralement mis fin aux négociations, n’a sûrement rien à voir avec ça… En effet, le projet de loi 142 prévoyait non seulement des mesures de répression, mais des conditions de travail négociées en table commune, dont une convention collective pouvant aller jusqu’à huit ans, un gel des salaires de deux ans et des augmentations de 2 % pour les années subséquentes.

En minant la solidarité syndicale, le capitalisme affecte aussi la capacité à s’opposer activement et à résister aux attaques contre nos acquis sociaux. Mais même en dehors du contexte syndical, le capitalisme a un effet similaire: il s’agit de « l’individualisation du rapport salarial ». Le lien d’emploi et l’appartenance au milieu de travail étant désormais pratiquement totalement individualisés, tout conflit de travail se trouve relégué au seul domaine du département des ressources humaines. Il devient ainsi impossible pour les employé-e-s d’amener le conflit à un niveau supérieur de gestion, niveau qui permettrait (peut-être) des changements systémiques et une diminution du sentiment d’aliénation et d’injustice. L’employé-e est seul-e, sur sa photo souriante d’employé-e du mois comme lors de son renvoi injustifié. Le gestionnaire tient le gros bout du bâton, comme le contre-maître durant la révolution industrielle. Le droit du travail n’a pas suivi l’évolution des changements dans les structures du travail, les législateurs étant trop occupés à éviter ces questions au profit de ceux finançant leurs campagnes électorales… Résultat: l’effritement de la déjà faible protection légale offerte aux salarié-e-s et l’augmentation de la précarité du travail.

Des conséquences de la délocalisation

Autre fait dans cette économie capitaliste: les entre prises doivent s’adapter pour rester dans la compétition, ce qui justifie toute sorte de mesures de restructuration, dont la délocalisation, qui présente plusieurs avantages: des coûts plus bas (accès à une main-d’œuvre et des ressources naturelles peu coûteuses, etc.); un accès à un pôle de compétence technologique ou à du personnel plus qualifié; un accès à des infrastructures mieux adaptées ou à un environnement plus attrayant (fiscalité moins élevée, réglementations sociales et environnementales moins contraignantes, etc.).

il est donc facile de comprendre qu’il est très alléchant pour une entreprise de fabriquer ses produits dans les pays émergents. Mais qu’en est-il de ceux et celles qui font vivre et vivent de ces entreprises assoiffées d’argent et de pouvoir? Les conséquences sont évidentes: perte d’emploi, détérioration des conditions de travail et accroissement des inégalités sociales, autant dans les pays émergents que dans les pays développés. Dans ces derniers, l’impact ne se fait pas seulement sentir au niveau des employé-e-s de l’entreprise directement concernée, mais touche également toute la communauté environnante. On peut le constater par le taux de chômage élevé, les jeunes qui émigrent, les services publics qui tombent en désuétude, les petites entreprises qui ferment faute d’une main-d’œuvre qui n’a eu d’autre choix que de partir vers de plus grandes villes, etc. Certes, ce phénomène de délocalisation n’est pas nouveau, mais il a connu une nette accélération depuis la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Et certaines économies dites émergentes, comme les deux géants démographiques que sont la Chine et l’inde, délocalisent leurs entreprises vers d’autres pays plus faibles économiquement du Sud globalisé. Avec les nouvelles technologies et la libéralisation des échanges, la délocalisation prendra des proportions considérables.

L’exploitation des travailleurs et travailleuses migrant-e-s

Paradoxalement, pendant qu’ils délocalisent des emplois vers des pays du Sud globalisé, les pays du Nord et les puissances émergentes ont de plus en plus recours à des travailleuses et travailleurs migrant-e-s temporaires. Grâce à différents programmes, ils et elles forment une main-d’œuvre marchandable, hyperflexible, facile à exploiter, qu’on expulse ensuite du pays, sans aucune protection sociale et sans jamais qu’ils et elles puissent accéder aux privilèges accordés aux citoyen-ne-s. Pour la plupart des personnes qui viennent des pays du Sud dévastés par le néocolonialisme, l’austérité n’est donc rien de nouveau – c’est la norme. Les services sociaux et les ressources qui sont actuellement sous attaque ont été conçus pour qu’ils ne leur soient jamais accessibles:

Ce n’est pas une coïncidence si le premier pro- gramme de travail temporaire a été créé en 1966, quelques années seulement après l’élimination des catégories explicitement raciales qui avaient antérieurement défini les lois d’immigration au Canada. Le Programme d’autorisation d’emploi des non-immigrants (PAENI) a créé une catégorie distincte de travailleurs et travailleuses « peu qualifié-e-s », la majorité d’entre eux et elles issu-e-s des pays du Sud. Cela a pris quelques années avant que les effets du PAENI aient totalement pris forme, mais à partir des années 1980, les demandes d’autorisations temporaires de travail avaient éclipsé l’entrée de travailleurs et travailleuses permanent-e-s. Le Pro gramme de travailleurs étrangers temporaires (PTEC) fut établi en 2002, en extension du PAENI. Il s’est rapidement élargi, triplant de volume depuis 2006, signalant une fois de plus la centralité d’une force de travail hyperflexible dans les plans capitalistes. Les employeurs peuvent puiser du travail de tout pays dans le monde, sans surveillance gouvernementale, et sans accords bilatéraux. Il n’y a pas de chemin vers la résidence permanente; le droit des travailleurs et travailleuses de rester au Canada dépend de leur employeur. La plupart des travailleurs et travailleuses migrant-e-s reviennent chaque année pour compléter le même travail de contrat « à court terme ». Ces travailleurs et travailleuses ont été « temporaires permanent-e-s », enfermé-e-s dans une situation d’insécurité persistante.

Cependant, des changements en vigueur depuis le 1er avril 2015 n’ont fait qu’empirer davantage cette situation:

La nouvelle législation « 4 et 4 », visant les travailleurs et travailleuses les plus exploité-e-s du PTEC, limitera ces personnes à quatre ans de travail, puis les empêchera de revenir au pays pour les quatre années suivantes. Cela rend ces personnes encore plus isolé-e-s et vulnérables, amenant un système d’immigration à porte tournante pour les plus exploité-e-s. Tous et toutes les travailleurs et travailleuses temporaires à bas salaire embauché-e-s dans les réseaux de soins à domicile qui ont travaillé au Canada depuis plus de quatre ans seront empêché-e-s de travailler, et seront forcé-e-s de quitter le pays – une des plus grandes déportations de l’histoire canadienne. Éventuellement, plus de 60 000 personnes vivant actuellement au Canada (et des centaines de milliers qui les remplaceront de manière temporaire) seront expulsées, forcées à partir, ou obligées de vivre ici comme travail leurs et travailleuses sans papiers et criminalisé-e-s.1

Les ravages de l’« efficience »

La dernière mode dans la gestion du travail, c’est celle de l’« efficience ». Plusieurs réorganisations ont eu lieu, sont en cours ou sont planifiées, au nom de ce désormais sacro-saint principe de la « nouvelle gestion publique ». Déjà, avec l’« efficacité », nous devions « faire plus avec moins ». Mais avec l’« efficience », il faut désormais « faire mieux avec rien »! L’organisation du travail est entrée dans une phase quasi psychotique, où les patrons déforment la réalité afin de faire croire aux employé-e-s que ce sont eux et elles le problème, et non leurs propres exigences totalement irréalistes. Les principes de gestion tels que le Lean, la méthode Toyota, le Six Sigma, le Kaizen et autres, sont autant d’exemples de « gestionnite aiguë » qui dénaturent le sens même du travail et font peser sur les employé-e-s un stress psychologique et physique très lourd. Des personnes n’ayant aucune compétence dans votre champ de travail peuvent désormais débarquer à votre boulot, vous évaluer, juger de votre « performance » et vous forcer à abolir des gestes ou des activités sous le prétexte qu’ils « n’ont pas de valeur ajoutée »… Parlez-en aux préposé-e-s aux bénéficiaires, qui se font dire de moins parler avec les patient-e-s parce que c’est une « perte de temps ». Nous en sommes arrivé-e-s à un point où le travail n’a plus aucun sens autre que celui du profit. Et le profit de qui, pensez-vous?

Certes, plusieurs luttes menées dans le passé nous ont permis d’avancer et d’obtenir plusieurs gains au niveau des conditions de travail. On n’a qu’à penser à l’obtention de la journée de huit heures, lutte internationale menée à bout de bras par les mouvements ouvriers et qui a donné naissance à la célèbre grève du 1er mai de 1886 aux États-Unis. Il y a également la Loi du salaire minimum de 1940; la version définitive du Code du travail du Québec, adopté en 1964, découlant de la pression exercée par les syndicats afin d’y intégrer le droit de grève pour les syndicats de certains secteurs publics et parapublics; l’obtention en 1973 des jours fériés chômés (en plus d’être payés) et de l’assurance-salaire; le congé de maternité en 1976 et de paternité en 1979; les dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail adoptées en 1977; ou, plus récemment, la Loi sur l’équité salariale adoptée par l’Assemblée nationale du Québec en 1996.

Comme mentionné plus haut, plusieurs de ces acquis sont soit en chute libre ou ne suivent pas l’évolution de la société. Les acquis ne sont plus à protéger, mais bien à reprendre, ce qui signifie qu’il faut combattre pour les recréer et arrêter le massacre.

 

Note

  1. https://www.solidarityacrossborders.org/fr/beyond-austerity-article-for-...

 

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