Soutien inconditionnel à la résistance de Kanehsata:ke

L’automne dernier, Al Harrington et d’autres résident.e.s de Kanehsatà:ke ont fait une grève de la faim de quinze jours afin de dénoncer le vol de leurs terres par un développeur immobilier.

1. Mise en contexte historique

Dans cette région, et ce depuis le 18e siècle, les Mohawks revendiquent leur droit sur les terres qui ont été au cœur de la Crise d’Oka.

Dans les années 1960, un terrain de golf est aménagé sur une partie des terres revendiquées. Fait important : sur ces terres se trouve un cimetière mohawk.

En 1990, en plus du dévoilement d’un projet d’agrandissement du golf, le maire d’Oka approuve un projet de développement immobilier de luxe. Ce projet empiète sur une pinède qui fait partie du territoire mohawk. À la suite de cette annonce, le 10 mars 1990, des membres de la nation mohawk initient le blocage d’un chemin de terre qui mène au terrain de golf : le maire réussit à obtenir une injonction qui leur laisse jusqu’au 9 juillet pour quitter. Si iels n’obéissent pas, le maire fera intervenir la police. Ce qu’il fait dès le 10 juillet. C’est la Crise d’Oka.

Voici quelques détails sur la construction du récit historique, son traitement médiatique, des extraits de manuels scolaires d’histoire, et comment le récit a été altéré par rapport aux événements réels.

1.1. La Crise d’Oka

En mars 1990, après que la ville d’Oka eût approuvé un projet domiciliaire de luxe et l’agrandissement d’un terrain de golf, des Mohawks de Kanehsatà:ke commencent à bloquer une route de terre menant au terrain de golf. En vertu d’une injonction, le maire d’Oka leur laisse jusqu’au 9 juillet pour quitter le lieu d’occupation. Si iels refusent, le maire fera intervenir la police : ce qui arriva. La police chargea les Pins de Kanehsatà:ke, lançant des grenades lacrymogènes. S’ensuit un échange de coups de feu où un flic trouvera la mort.

À cette résistance, ajoutons l’appui des Warriors de Kahnawake, qui occupent les routes menant à leur réserve. Débute ensuite le blocage du pont Mercier en pleine heure de pointe.

La résistance mohawk s’intensifie, la présence policière aussi (1000 policièr.e.s de plus). Les résident.e.s d’Oka et de Châteauguay manifestent alors leur mécontentement : lors d’une manifestation, des habitant.e.s de Châteauguay brûlent un mannequin représentant un Warrior en criant « sauvage ». Pendant les semaines qui suivent, contrairement à ce que dit le gouvernement, les vivres – parfois sabotées - et les médicaments se rendent difficilement. La circulation est surcontrôlée, les journalistes sont repoussé.e.s et contrôlé.e.s par l’armée.

Le 8 août, la police est ainsi remplacée par l’armée, et les négociations débutent. Plusieurs événements surviennent, notons en deux importants :

  • Le 26 août, alors qu’un convoi d’enfants, de femmes et d’aîné.e.s quitte les lieux de l’occupation, des habitant.e.s d’Oka leurs jettent des pierres. Un Mohawk est atteint en plein thorax, il s’agit de la première et seule mort par lapidation de l’histoire du Canada.
  • Le 8 septembre, Randy Horn, militant mohawk, est brutalement battu par l’armée. Malgré la nécessité de voir un médecin rapidement, les Mohawks se retrouvent contraint.e.s à négocier pour y avoir accès.

Ce n’est que le 26 septembre que le siège prend fin. Les forces de l’État profitent alors de la fin du siège pour se venger sur les militant.e.s, qui seront brutalisé.e.s.

Pendant et après la Crise d’Oka, ce sont les Warriors qui ont généralement été présenté.e.s comme détenteur.trice.s et utilisateur.trice.s de la violence. Les médias francophones parlent de militant.e.s armé.e.s et ne mâchent pas leurs mots en les cataloguant de terroristes. Dans des reportages diffusés par les principaux médiaux francophones en 2005, 2010, et 2015, la mort du Caporal Lemay est sans cesse au centre des propos. Par contre, jamais la mort du sexagénaire mohawk n’est mentionnée.

1.2. Été 2019

À l’été 2019, des tensions entre le maire d’Oka – qui a tenu des propos inacceptables au sujet des Mohawks – et le grand chef Serge Simon nous rappellent la Crise d’Oka, alors qu’elles s’inscrivent dans des enjeux territoriaux. Voici un extrait qui explique ce qui s’est passé :

« Le torchon brûle entre les deux hommes depuis plusieurs jours. Au centre de leur guerre de mots : un projet de rétrocession aux Mohawks de certaines terres boisées, dont une partie de la pinède qui s'était retrouvée au cœur de la crise d'Oka, en 1990.

Le maire Quevillon affirme depuis que le territoire de Kanehsatà:ke est aux prises avec un problème de ‘cabanes de cigarettes et de cabanes de pot’, soit un grand nombre d'échoppes où il est possible de se procurer ce qui est bien souvent, selon les lois coloniales en place, du tabac et de la marijuana de ‘contrebande’.

M. Quevillon a également soutenu que le projet de rétrocession de terres allait faire plonger la valeur foncière des résidences d'Oka, en plus d'entraîner la multiplication incontrôlée de ces ‘cabanes’. »

1.3. La grève de la faim

Au coeur du conflit actuel est la construction de plusieurs centaines de maisons dans un territoire accordé au peuple mohawk depuis 1718. L’objectif de cette grève de la faim est d’interpeller le gouvernement afin qu’il prenne au sérieux les demandes de la maison longue, notamment que se tienne un moratoire sur le développement immobilier sur le territoire de Kanehsatà:ke.

 

2. Colonialisme et capitalisme

Partons de l’auteur autochtone Glen Coulthard, qui fait honneur au travail d’un autre illustre militant décolonial Frantz Fanon, dans son livre « Peau rouge, masques blancs ».

Dans cet ouvrage, l’auteur démontre les limites d’une politique de reconnaissance et de réconciliation de l’État qui ne font que consolider le pouvoir colonial du gouvernement canadien. Et la séquence que nous vivons aujourd’hui en est la preuve : en faisant une grève de la faim, Al Harrington, un membre de la communauté kanehsatà:ke, a fait une démonstration de dignité politique extraordinaire. Coulthard nous éclaire aussi sur l’existence d’une identité politique autochtone inassimilable en dépit d’une répression coloniale écrasante. D’autre part, il nous rappelle que les politiques de reconnaissance ne sont qu’une façade et un subterfuge.1 Elles ne protègent pas les peuples autochtones d’une exploitation de leurs terres. Al Harrington a aussi mené cette grève de la faim afin d'attirer l'attention sur un conflit territorial de longue date qui a été ignoré par les autorités coloniales pendant plus de 300 ans, et qui a été ravivé avec la « crise » d'Oka en 1990.

Le libéralisme prétendument antiraciste et multiculturaliste porte ses limites dans ses racines.

Comme le développement du mode de production capitaliste est lié à l’expansion coloniale, la pratique de dépossession ne peut que se perpétuer continuellement. C’est d’autant plus le cas quand il s’agit d’une colonie de peuplement, comme l’illustrent les propos d’Ellen Gabriel :

« C’est le gouvernement qui nous cause du mal et qui laisse des développements être faits sur nos terres ‘vendues’ frauduleusement. Le gouvernement doit prendre ses responsabilités dans ce conflit qui perdure aujourd’hui. »

En effet, Glen Coulthard nous rappelle que :

« même si la reconnaissance est élevée au statut de ‘droit vital’ et que cela représente une amélioration par rapport aux stratégies antérieures d’exclusion, de génocide et d’assimilation qui ont été mises en place au Canada, je soutiens plus loin que la logique selon laquelle la ‘reconnaissance’ est conçue comme quelque chose qui est ‘accordé’ ou ‘offert à un groupe ou une entité subalterne par un groupe dominant’, que cette logique est donc vouée à l’échec, car incapable de modifier, encore moins de transcender, l’ampleur du pouvoir qui est en jeu dans les relations coloniales ». Nous pouvons compléter avec une citation souvent répétée : « Une indépendance concédée n’est qu’un aménagement de la servitude. »

Voilà comment il est possible d’avoir une politique publique de reconnaissance des peuples autochtones, tout en supportant ce qui est fondamentalement un génocide culturel.

Pour un droit des peuples à disposer d’eux même, nous soutenons la nation Mohawk !

Adapté d’un texte écrit originellement par le collectif Pour une dignité politique.

 

Notes:

  1. « La domination coloniale prend désormais la forme de mécanismes de reconnaissance et d’accommodation par l’État. […] [La] reproduction des rapports coloniaux repose [désormais] sur l’habilité de celui-ci à convaincre les peuples autochtones d’adopter, de façon implicite ou explicite, les formes de reconnaissance asymétriques et non réciproques qui leur sont imposées ou accordées par la société et l’État coloniaux. » : Extrait de Glen Coulthard, Peau rouge, masques blancs (2014).