La mécanique du capitalisme

La naissance du capitalisme

Le capitalisme est apparu dans un contexte rural, en Angleterre au début du XVIe siècle, au moment où le prix de la laine a commencé à augmenter. Le régime de propriété des terres fonctionnait à l’époque selon un système de location. Les profits tirés de l’exploitation coloniale anglaise ont alors été investis dans la transformation des terres agricoles pour y faire l’élevage des moutons, chassant massivement vers la ville les populations rurales, qui jus- qu’alors subsistaient grâce à l’agriculture. Pour résumer deux siècles en une phrase: lors de la mise en place du système capitaliste, les paysan-ne-s ont été dépossédé-e-s de leurs moyens de production et ont donc été forcé-e-s de vendre leur force de travail pour assurer leur subsistance.

Un pouvoir de plus en plus fort

Les nobles et les bourgeois étaient les seuls à avoir les moyens de construire des usines, et ils n’auraient jamais fait ces investissements à moins d’avoir l’assurance qu’ils pourraient augmenter toujours plus leurs profits. Dans sa plus simple expression, le capitalisme permet à une minorité, qui possédait déjà des richesses avant la mise en place de ce système, de les utiliser afin de devenir de plus en plus riche.

Bien que la production industrielle ait pratiquement disparu de l’Occident aujourd’hui, elle constitue la meilleure image pour comprendre les dynamiques propres à la production de richesses dans nos sociétés. Par exemple, un propriétaire d’usine possède des machines qui perdent de leur valeur avec le temps; il transforme des matières premières afin d’en faire un produit fini ayant une valeur spécifique sur le marché. Ce produit doit être vendu à un prix qui compense les salaires des travailleurs et travailleuses, les matières premières achetées, l’usure et l’entretien de la machinerie, en plus de la part que le propriétaire s’approprie pour lui-même. La part prise par le patron s’appelle le taux de profit.1

Un capitaliste ne peut pas être un « bon patron », puisque s’il augmente le salaire de ses employé-e-s ou améliore leurs conditions de travail, il réduit d’autant sa marge de profit, à moins d’augmenter ses prix et d’ainsi courir le risque de ne plus être compétitif. Bien que les intérêts de ceux qui possèdent les moyens de production sont en contradiction avec ceux des travailleurs et travailleuses, il n’en demeure pas moins que l’existence des capitalistes dépend directement de ces dernièr-e-s. Le fait même de posséder les moyens de production les rend dépendants de l’exploitation de la majorité.

Avec les améliorations technologiques, on a tendance à croire que les machines remplacent les travailleurs et travailleuses et que les technologies rendent les entreprises de moins en moins dépendantes de leur travail. Dans les faits, l’utilisation de technologie (machines, logiciels, etc.) remplace des travailleurs et travailleuses moins qualifié-e-s par d’autres plus qualifié-e-s, ce qui renforce au contraire la dépendance à leur égard. Ainsi, les investissements en technologie sont en fait un déplacement de cette dépendance depuis une entreprise productrice vers une autre industrie fabriquant les machines ou logiciels dont l’entreprise a besoin. Au final, la technologie est un facteur important dans la production, mais c’est toujours les travailleurs et travailleuses qui produisent toutes les formes de richesses… y compris la technologie.

La baisse du taux de profit

Évidemment, les producteurs de biens sont en concurrence les uns avec les autres. Il existe deux façons de tirer son épingle du jeu: augmenter le volume de production ou améliorer la technologie nécessaire à la production. L’augmentation du volume de production se traduit concrètement par une division du travail: une séparation des différentes tâches nécessaires pour maintenir la production, en créant une compétition entre les employé-e-s. Les plus lent-e-s subissent des pressions afin d’augmenter leur production ou sont renvoyé-e-s, ce qui lance un message clair aux autres. De plus, cela simplifie les actions accomplies par chacun-e et, comme l’analyse des gestes impliqués dans chacune des opérations s’en trouve facilitée, il devient possible de trouver des outils plus spécialisés pour diminuer le temps de travail nécessaire pour chaque opération. Ainsi, en améliorant les technologies, on peut soit réduire le nombre de travailleurs et travailleuses, soit augmenter la quantité de biens produits sans avoir à augmenter le nombre d’employé-e-s. Cela rend le travail d’autant plus pénible, et relègue les travailleurs et travailleuses à un rôle de surveillance des machines.

Cette augmentation de la productivité a été promue, autour du XVIe siècle, par l’idéologie religieuse de l’improvement, selon laquelle notre mission est de faire croître le Royaume divin sur la terre. En effet, plusieurs sectes anglicanes évaluaient la croissance en termes économiques et considéraient les bienfaits pour l’humanité en matière de profits réalisés. Cette perspective est excessivement réductrice: on choisit d’ignorer les conditions des travailleurs et travailleuses, le traitement réservé aux animaux et à l’environnement, la responsabilité sociale et, souvent, sa propre santé pour ne prendre en considération que la capacité de faire un profit maximal. On voit facilement comment cette idéologie est devenue inhérente à tous les aspects de la vie et comment les populations ont accepté cette vision du monde comme un mal nécessaire.

La crise

On a vu plus haut comment les entreprises doivent avoir recours aux améliorations technologiques afin de rester dans la course. Toutefois, ces changements aux techniques de production s’effectuent de manière saccadée lorsque des technologies résolvent des problèmes majeurs. Un effet d’entraînement survient chez les investisseurs, les capitalistes et les financiers, afin de tirer profit des nouvelles méthodes. Ainsi, il y a des périodes dans lesquelles les capacités de production dans un secteur donné sont trop grandes par rapport à la capacité de consommation des populations.

Lorsque cela se produit, trop de biens sont produits par rapport à ce qui est consommé. Deux options s’offrent alors aux capitalistes: baisser les prix ou vendre moins de biens, et les deux réduisent leurs profits. Il n’est donc plus dans l’intérêt des capitalistes d’investir dans la production, ce qui entraîne un sous-investissement, donc moins d’emplois et de consommation. Les travailleurs et travailleuses devront alors être généralement prêt-e-s à accepter de moins bonnes conditions de travail et des salaires plus bas. Si le sous- investissement perdure, on tombe alors dans une crise2: ayant moins de travail et étant moins bien rémunéré-e-s, les travailleurs et travailleuses dépensent généralement moins, privant ainsi les propriétaires de revenus.

Ces effets forment en fait une boucle. Les crises économiques font partie intégrante du développement capitaliste, se produisent de manière récurrente à des intervalles réguliers, selon les jeux politiques et financiers du moment. Les crises sont des périodes de politiques répressives chez les dirigeants et de remise en question du système économique chez la population. En effet, puisque les horizons économiques sont bouchés, ceux et celles qui dépendent du travail pour survivre doivent tout de même subvenir à leurs besoins. C’est pourquoi les gouvernements interviennent davantage dans de telles périodes: mise en place de camps de travail hors des villes (pour éviter l’accumulation urbaine de chômeurs et chômeuses, qui ont la fâcheuse habitude de fomenter des révoltes, insurrections et émeutes), augmentation de la répression, plans de sauvegarde d’entreprises ou simple charité.

La résolution des crises économiques implique toujours la destruction d’une partie de la capacité productive, par la fermeture d’usines, laissant les machines rouiller sur place et forçant les travailleuses et travailleurs au chômage, par la guerre qui détruit les usines des pays attaqués ou encore par la « disparition » de la valeur du capital dans le cas de l’explosion d’une bulle spéculative. Par exemple, au début des années 2000, l’idéologie voulant qu’internet représente l’avenir était si forte que les prix des actions des entreprises en technologies étaient complètement disproportionnés par rapport à la valeur réelle de ses entreprises. Évidemment, les investisseurs se sont mis rapidement à retirer leurs billes du jeu, et lorsque les prix sont revenus à la normale, ces entreprises avaient perdu 5000 milliards de dollars en valeur.

Les crises amènent un désinvestissement dans les industries de nature plus spéculative, comme en finance ou en télécommunication, alors que les ressources naturelles (comme le pétrole et les minéraux) et les biens de première nécessité (comme la nourriture et le logement) reprennent de la valeur. C’est pourquoi les gouvernements dans les pays néocoloniaux3 réinvestissent massivement dans ces secteurs en période de crise.

D’autres stratégies peuvent être utilisées par les capitalistes eux-mêmes. Historiquement, les entre prises des pays industriels se sont servies de stratégies de dumping, par lesquelles elles se débarrassaient des surplus en les vendant en deçà du prix courant dans un pays donné (souvent du Sud globalisé), afin de détruire les industries locales, créant du même coup de nouveaux débouchés pour écouler leur propre production régulière (à des prix nettement à la hausse cette fois).

Puisque les pays occidentaux n’appellent plus leurs conflits et interventions militaires des guerres, on a tendance à penser que les formes actuelles de domination des pays étrangers sont acceptées docilement par leur population et leurs gouvernements. Par contre, la forme que prennent les conflits entre les pays est plutôt idéologique: les pays dominés se soumettent aux politiques du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale sous la menace de se faire couper les prêts internationaux.

 

Notes

  1. Il s’agit de l’excédent d’exploitation brut sur la valeur ajoutée brute. Voir, entre autres, https://web.archive.org/web/20110526201558/https://www.cerpeg.ac-versail.... À noter que depuis une trentaine d’an- nées, ce taux reste stable à environ 30 %. Voir www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/economie/comptes-economiques/comptes-re... (les entreprises du Québec ont versé 189,7 milliards de dollars en salaires, retirant un excédant d’exploitation net de 42,6 milliards).
  2. Pour qu’il y ait crise économique, il suffit de trois trimestres consécutifs sans croissance économique.
  3. Bien que nous soyons conscient-e-s que le colonialisme est un processus qui se poursuit aujourd’hui (tout comme l’impérialisme), nous utilisons le terme « néocoloniaux » pour inclure à la fois les anciennes puissances coloniales, les États hégémoniques actuels (comme les États-Unis et le Canada), tout comme les pays du Sud globalisé qui n’ont pas de passé colonial ou sont eux-mêmes d’anciennes colonies (notamment l’Inde), mais qui tendent aujourd’hui à adopter une attitude coloniale et impérialiste envers d’autres pays du Sud globalisé (par exemple la Chine envers certains pays d’Afrique, le Vietnam envers le Laos et le Cambodge, etc.).

 

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