Colonialisme et néocolonialisme : rapports de domination Nord-Sud
Les rapports de domination qui déterminent aujourd’hui les relations internationales prennent leurs racines dans l’entreprise coloniale et l’esclavagisme qui ont permis aux pays d’Europe de l’ouest d’asseoir leur prédominance sur la scène mondiale et d’accumuler les capitaux nécessaires à l’essor du capitalisme. Leur développement fut indissociable de l’économie coloniale (et dans un premier temps de traite), qui a permis et continue de permettre un accès privilégié aux matières premières et à un coût de main d’œuvre défiant toute concurrence. Cette domination s'est renforcée par la suite par une dette publique et privée du Sud envers le Nord, dont le pillage humain et économique des pays du sud par ceux du nord lors de la colonisation et depuis, suffirait à lui seul à justifier l’annulation.
Cette situation de néo-colonialisme, qui bénéficie de la complicité des élites locales dans la plupart des pays dominés se traduit par un renforcement des liens de dépendance entre pays du Sud et grandes puissances qui s'opère par le biais d'un repositionnement militaire et économique des puissances impérialistes. Que ce soit sous le discours de la lutte à la drogue et au terrorisme (Plan Colombie, Plan Mexico, Afghanistan, Irak), sous le discours du développement (ZLÉA, accords bilatéraux, PPP, IRSA), ou de l'aide économique d'urgence (dollarisation des économies : Guatemala, Panama, Équateur, Argentine) ou aide humanitaire (Somalie, Kosovo, Haïti) , les pays du G-8 mettent en place les mécanismes leur permettant de renforcer leur hégémonie politique et économique, en préparant le terrain pour offrir sur un plateau d'argent les ressources naturelles et la main d'oeuvre des pays pauvres à leurs multinationales.
Les acteurs et les outils de la domination
Les États riches tentent de redorer l’image de leur mondialisation à l’occasion de sommets comme ceux du G8/G20. La publicité donnée aux sommets des puissances vise à légitimer leurs actions et en faire oublier le caractère antidémocratique. Les chefs d’États élus sont mis en avant pour mieux masquer les forces et lobbies qui y agissent sans aucun contrôle citoyen. L’invitation de représentants des pays pauvres ou des ONG à ces rencontres rentre parfaitement dans ce processus de légitimation. Les institutions et organismes internationaux, qu’il s’agisse de l’ONU et de ses avatars, du FMI ou de la Banque mondiale, sont au service des pays dominants et des intérêts des multinationales.
Les accords qui ressortent de ces sommets se font toujours au détriment des populations les plus vulnérables. En matière de commerce, les décisions sont notoirement inéquitables : les pays du Sud doivent s’ouvrir totalement au commerce international tout en subissant le protectionnisme économique du Nord. Mais c'est surtout dans les pays en voie de développement que les institutions internationales interviennent afin de les rendre toujours plus dépendants.
** Les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) promus par le FMI en échange de l’échelonnement et des allègements de la dette en sont une illustration éclairante. Tenant les pays par la gorge avec le problème de la dette, le FMI, membre à part entière du G20, dicte aux pays la mise sur pied des PAS – rebaptisés par les mouvements populaires comme « Programmes d’Appauvrissement Systématique » puisqu’ils consistent en une série de mesures pour "enlever les obstacles au commerce" qui se traduisent concrètement par des coupures dans les programmes sociaux, la privatisation des services publics, des ressources naturelles et des entreprises nationales, ainsi que par la précarisation de la main d’œuvre.
** De plus, les Institutions Financières Internationales (IFIs) et les pays du G-8/G20 en poussant pour l'ouverture des marchés et la libéralisation de l'agriculture (par les traités de libre-échange entre autres), ont forcé le démantèlement des économies locales et nationales et de la souveraineté alimentaire, avec l'entrée en force de l'agro-industrie d'exportation.
Les dessous de la crise et de l’aide alimentaire ou quand la faim c’est payant !
Les politiques criminelles des IFIs ont fait sombrer dans la dépendance alimentaire les pays du Sud. Alors que dans les années 70, les pays du Sud avaient un excédent commercial en aliments de 1000 millions de $ annuels, après 30 ans de « Programmes d’Ajustement Structurel », de « programmes de développement agricole », de « Révolution verte » et de soi-disant programmes d’« aide-alimentaire », en 2001, les pays dits « en développement » ont enregistré un déficit commercial en aliments de 11 milliards de $... Ils sont donc passés d'exportateurs à importateurs de denrées alimentaires de base, augmentant ainsi leur situation de dépendance et de vulnérabilité envers le Nord.
La libéralisation de l’agriculture
Depuis les années 1960, l’agriculture et la production des aliments s’est transformée pour passer d’être une affaire essentiellement locale (sauf pour les produits de luxe) à une affaire principalement d’ordre mondial
Depuis le début des années 80, les IFI (G8/G20, BM, FMI OMC, etc.) ont promu l’implantation de politiques forçant les gouvernements à éliminer les mécanismes qui leur permettait de contrôler les réserves et les prix des denrées alimentaires de base et donc de protéger leur sécurité alimentaire au niveau national. Par exemple, le FMI a fait pression sur les gouvernements pour qu'ils réduisent leurs réserves de grains, éliminent les barrières (taxes et autres) aux importations d’aliments provenant d’Europe ou d’Amérique du Nord et éliminent les programmes d’aide gouvernementale à la production paysanne.
Ces mesures ont eu comme impact une diminution drastique de la production d’aliments de base dans les pays du Sud, ainsi que de faire disparaître les mécanismes qui permettaient anciennement aux gouvernements d’intervenir pour protéger la population des impacts d’une augmentation subite des prix des aliments.
Ainsi en Asie et en Amérique latine notamment, le nombre de paysans est en diminution constante. L’agriculture qui est passée en quelques décennies d’une agriculture de subsistance dont les excédents sont écoulés sur le marché local à une agriculture de type capitaliste destinée à l'exportation - l’agro-industrie - à eu pour conséquence de détruire les économies paysannes. Les paysans se sont retrouvés exclus de leurs propres marchés locaux suite à l’inondation de ceux-ci avec les denrées à faibles prix provenant des monocultures subventionnées du Nord. C’est ainsi que des milliers de paysans se retrouvent forcés d’abandonner leurs terres (lorsqu’ils n’en sont pas carrément chassés de force par l'Armée ou les milices qui les protègent les compagnies) et de devenir des travailleurs agricoles exploités dans les grandes plantations ou d’aller grossir les ceinturons de misères des bidonvilles, passant ainsi de producteur d’aliment à demandeur d’aide alimentaire.
C’est de cette manière que l’agro-industrie, dans une logique d’économie globale, conduit à la destruction de la production agricole nationale traditionnellemnt orientée autour des alimentaires de base consommées par la population à l’intérieur du pays. La production sera réorientée vers les denrées de luxe et destinée à l’exportation (fruits exotiques, fleurs, agro-combustibles, foresterie, cacao, café, soya et mais transgénique, coton, crevettes, bétail, etc.). La production agricole est ainsi déterminée en fonction des besoins de l’extérieur et les pays deviennent dépendants pour leur alimentation des importations des multinationales de l’agro-business, ce qui met fin à leur souveraineté alimentaire.
Un pays qui dépend entièrement de l’étranger pour nourrir sa population est un pays profondément vulnérable. Il devient beaucoup plus facile de lui imposer la mise en place de politiques qui vont en bout de ligne bénéficier les entreprises du Nord (ouverture des marchés, privatisations des ressources et des services, traités de libre-échange, etc.) puisqu’il est dépendant de la « bonne volonté » des pays qui riches et des institutions internationales qui fournissent l’aide alimentaire.
En fait « l’aide alimentaire » est souvent un appui camouflé aux multinationales qui vendent au Programme Alimentaire Mondial (PMA) de l’ONU, les grains de leurs excédents de production à prix réduits. En d’autres mots ce qu’ils n’ont pas pu vendre sur le marché, plutôt que de rester pris avec ils le vende moins cher au PMA afin d’écouler leur stock. Cette pratique s’appelle du « dumping » et c’est une pratique qui devrait être caractérisée de criminelle tellement elle a contribué à ruiner des millions de paysans sur la planète ne pouvant entrer en compétition avec cette inondation de denrées à bon marché.
** Il ne faut pas oublier que l’aide alimentaire est dominé par le modèle qui a été mis en place aux États-Unis en 1954 avec la loi 480. L’objectif de cette loi est très révélateur puisqu’on y lit qu’un des objectifs principal de cette loi consistait à : « Jeter les bases pour l’expansion permanente de nos exportations agricoles (…)» ! Selon cette loi, 75% de toute l’aide alimentaire des É.U. doit être achetée, transformée, transportée et distribuée par des entreprises américaines.
** Pendant qu’on oblige les gouvernements du Sud à éliminer toute subvention à leurs production agricole, prétextant qu’ils doivent couper partout pour payer la dette et que le libre marché apporte le développement, les subventions à l’agriculture aux É.U et en Union Européenne atteignent les 1000 millions de $ par jour ! La sur-production est maintenue grâce aux subventions accordées aux multinationales de ces pays.
** De plus les lobbys des géants de l'agro-limentaire sont tellement puissants que 84% de tous les contrats de transport et de distribution de l’aide alimentaire dans le monde sont contrôlés par seulement 4 entreprises ! L’aide alimentaire est en fait un business très payant pour les multinationales du secteur de l’agro-alimentaire, qui s’enrichissent sur le dos de la faim de milliers de personnes.
Crise alimentaire globale
** En 2007, le secteur agricole mondial a connu une production record, 4% de plus que l’année antérieure. Pourtant malgré cela de 2006 à 2008, le prix des aliments de base a augmenté en moyenne de 83% (riz, mais, huile, etc.), alors que selon la logique de l'offre et de la demande ils auraient dû chuter... Mais dans le capitalisme, on spécule aussi sur les aliments et que le marché des grains de base a été considéré après la crise comme un investissement « safe », ils augmentent.
** La conséquence de cette augmentation des prix des aliments, de la concentration des terres provoquée par l’agro-industrie et de la conversion de milliers de paysans en cheap labor est que ce sont actuellement 963 millions de personnes dans le monde qui souffrent de la faim quotidiennement, dont 40 millions se sont ajoutés entre 2007 et 2008. Chaque jour 26 000 enfants de moins de 5 ans meurent et dans 50% des cas la cause est la malnutrition ! Pendant des millions de personnes crèvent de faim, les multinationales de l’agro-alimentaire font d’énormes profits. Monsanto a augmenté de 108% ses profits dans le premier trimestre de 2008 !
** La réponse à la crise alimentaire n’est pas dans l’augmentation de la production, comme voudraient nous le faire croire les mentors de secteur de l’agro-alimentaire qui s’enrichissent sur la faim à l’échelle mondiale. Le problème n’a jamais été la quantité d’aliments disponibles sinon l’accès injuste aux ressources et moyens de production qui permettent l’accès aux aliments. Le problème est structurel : il est dans le modèle agricole qui a été imposé mondialement – l’agro-industrie – un modèle de production agricole capitaliste, qui touche le fond. Dans le système capitaliste les aliments ne sont qu’une marchandise de plus à commercialiser et sur laquelle des profits peuvent être faits ; ils ne sont qu’un élément de plus pour instrumentaliser la domination Nord-Sud.
Les dessous de l’aide humanitaire : des missionnaires aux humanitaires
À l’époque de la conquête de l’Amérique, pour justifier leur impérialisme militaire et économique, les puissances coloniales prétextaient la christianisation comme motif. C'est-à-dire « les bienfaits apportés » aux contrées sauvages, comme par exemple : la suppression des pratiques barbares telles que les sacrifices humains, le cannibalisme, la polygamie, l’homosexualité et l’apport du mode de vie européen tels que le christianisme, l’habillement, les animaux domestiques, des outils etc…Toutes ses raisons justifiant le pillage, le meurtre et la destruction des civilisations qui résistaient à l’impérialisme des puissances de l’époque.
À l’époque on envoyait les missionnaires pour civiliser les « sauvages » en leur apportant lumière et civilisation, aujourd’hui on parle « d’aide humanitaire » pour leur offrir démocratie et liberté. L’humanitaire a maintenant remplacé le missionnaire.
Dès les débuts de l’aide humanitaire, on retrouve ce même désir d’impérialisme qui animait les missionnaires lors de la conquête. Cette citation de Gustave Moynier, le premier président de la Croix-Rouge entre 1864 et 1910 démontre sans contredit ce discours qui diffère peu de celui adopté 400 ans plus tôt par les puissances européènnes.
« La compassion, écrivait-il, est inconnue de telles tribus sauvages, qui pratiquent le cannibalisme (...). Leur langue même, dit-on, n’a pas de mots pour en rendre la pensée, tant celle-ci leur est étrangère. (...) Les peuples sauvages (...) font [la guerre] à outrance et cèdent sans arrière-pensée à leurs instincts brutaux, tandis que les nations civilisées, cherchant à l’humaniser, confessent par là même que tout ce qui s’y passe n’est pas licite ».
En octobre 2001, Colin Powell, alors secrétaire d’État des États-Unis déclare :
« Nous avons les meilleures relations avec les ONG, qui sont un tel multiplicateur de forces pour nous, une part si importante de notre équipe de combat. (...) Car nous sommes tous engagés vers le même but singulier, aider l’humanité, aider chaque homme et chaque femme dans le monde qui est dans le besoin, qui a faim (...), donner à tous la possibilité de rêver à un avenir qui sera plus radieux ».
L’humanitaire, quelques soient sa forme et ses acteurs, sert de prétexte et de couverture à des visées hégémoniques et impérialistes. Il est strictement au service du capital et des classes dominantes. L’humanitaire ne fait que soulager, dans le meilleur des cas, très momentanément la détresse humaine. Il ne s’attaque pour ainsi dire jamais aux racines du problème, c’est-à-dire au capitalisme et à ses contradictions. Il est non seulement au service de l’ordre établi, mais il le perpétue.
Militarisme et ingérence humanitaire
L’humanitaire et la guerre sont deux moyens contradictoires mais complémentaires ayant pour seul objectif de servir les intérêts de la classe possédante. Il est difficile de distinguer clairement l’humanitaire du militaire tellement les deux instruments sont imbriqués l’un dans l’autre. On fait la guerre au nom de l’humanitaire et on invoque l’humanitaire pour justifier la guerre. D’ailleurs sur le terrain l’humanitaire est largement subordonné au militaire, permettant ainsi le contrôle des opérations du début à la fin.
Dans les 20 dernières années, c’est sous des prétextes humanitaires (ingérence humanitaire) que les pays occidentaux, souvent avec l’aide de l’OTAN, leur bras armé, ont envahi plusieurs pays tels l’Irak en 1991, la Somalie en 1992, le Kosovo en 1999, l’Afghanistan en 2001, l’Irak en 2003 et Haïti en 2004. Les pays capitalistes ne font appel au droit d’ingérence humanitaire que pour mieux servir leurs propres intérêts. Dans le cas contraire, c'est-à-dire lorsqu’il n’y pas d’intérêts économiques, ils invoquent le droit de « non ingérence dans les affaires intérieures des États souverains » Cette vision sélective de l’humanitaire conduit ces États à intervenir massivement par exemple en Afghanistan et à rester passif face aux massacres perpétrés par l’État Israélien à Gaza ou face à l'État colombien, pays où on retrouve le plus grand nombre de syndicalistes assassinés annuellement au monde pour des motifs politiques.
La guerre pour l’humanitaire ou détruire pour reconstruire
L’une des raisons principales des « guerres humanitaires » est la nécessité de reconstruire pendant ou après le conflit. Cette notion de destruction massive a été formellement mise en place peu après la Deuxième Guerre mondiale sous le nom de Plan Marshall. Le Plan Marshall fut en effet une opération d’envergure extrêmement rentable pour les alliés
(principalement les États-Unis) qui consistait à reconstruire l’Europe dévastée par la guerre, au niveau de son infrastructure et au niveau de sa population, de façon à empêcher le « danger » socialiste et l’influence de l’URSS. Il s’agissait en effet de rétablir les États, leurs forces répressives et des structures politiques locales à la solde des reconstructeurs avant tout, et de les assister par la suite à reconstruire les infrastructures en question et d’assurer les biens essentiels (aliments, santé, éducation, etc.) par le biais de ses entreprises nationales.
Au XXIème siècle, ce processus de reconstruction exige des ONG et des organisations humanitaires à la solde de « l’État agresseur » afin de limiter les risques d’insurrections ou de « révoltes populaires » reliées au manque de denrées de base, de soins primaires de services médicaux ou à un toit aussi précaire soit-il. Ces organisations permettent une première « pacification» de la population.
La reconstruction : Le cas d’Haïti
Les futures grandes conférences internationales telles que le G20 mettront Haïti et sa reconstruction post-séisme à l’ordre du jour. Et ce n’est pas des réseaux d’eau potable, des hôpitaux et des écoles qui sont actuellement la priorité mais plutôt des prisons, des casernes, des tribunaux, une police et une armée. Il faut à tout prix éviter les révoltes et les émeutes et continuer leur travail militaire entamé depuis 2004 par la MINUSTAH et les casques bleus afin de contrôler totalement le pays et pouvoir y exploiter les ressources énergétiques, minières et mettre en place des zones franches. Pendant que les médias de masse nous montrent de gentils travailleurs-euses humanitaires distribuant de l’eau, c’est une toute autre réalité sur le terrain. C’est plutôt des coups et du plomb que l’on y distribue. L’occupation des ruines du Palais Présidentiel par les parachutistes de l’armée américaine dans les jours suivant le séisme démontre bien que l’humanitaire est un synonyme de militaire.