Pourquoi un premier mai anticapitaliste

Depuis 2008, des coalitions ont organisé des manifestations autonomes du 1er mai, et depuis 2010, c'est la CLAC qui coordonne l'organisation d'un 1er mai anticapitaliste. Nous ferons ici un bref survol des raisons stratégiques originelles qui ont mené à un 1er mai autonome1, des raisons pour lesquelles, selon nous, une telle manifestation doit être organisée malgré la répression et, finalement, des avantages de s’intégrer à la manifestation syndicale.

Pourquoi un 1er mai autonome?

Premièrement, parce que les centrales syndicales n'ont pas à cœur d'organiser un 1er mai commémorant l'histoire de la résistance anarchiste et des luttes combatives des travailleurs et travailleuses précaires et migrantEs. Fréquemment, les coalitions syndicales organisent la manifestation non pas le 1er mai, mais la fin de semaine suivante2. Ces manifestations servent souvent de démonstration de force pour des revendications essentiellement corporatives et réformistes, et ainsi, elles ne visent jamais à attaquer l'ordre établi, si bien que lorsque la police est intervenue dans le passé pour arrêter nos camarades, les services d'ordre syndicaux ont plus souvent défendu les policiers que nos camarades. Ces manifestations sont tellement vidées de leur signification historique que même les dirigeants syndicaux les qualifient d'« estie de parade3 ». Finalement, l'information syndicale à propos de l'historique du 1er mai est nulle, puisque la puissance symbolique du 1er mai est détournée afin de valoriser les intérêts corporatistes et à court terme des syndicats. Bien que nous sommes solidaires des revendications des travailleurs et travailleuses syndiquéEs, elles ne représentent pas les intérêts de l'ensemble de la classe ouvrière, des sans-emploi, sans-statut et plus précaires de la société et ne visent pas une réelle transformation sociale des rapports de pouvoir politiques et économiques. En effet, le 1er mai est la commémoration de l'histoire d'ouvriers et d'ouvrières en lutte qui se sont battuEs et qui ont parfois donné leur vie pour des idéaux révolutionnaires. Depuis des années, les interdictions de manifestations sont défiées de par le monde par la présence dans les rues, et c'est à cause des centaines d'arrestations de camarades chaque année que l'on se rappelle l'historique de confrontation avec le capital. Ainsi, il est difficile, en tant qu'anticapitalistes, d'organiser un contingent dans la parade syndicale, car une telle participation vient renforcer le détournement de notre propre histoire, surtout lorsque des manifestations sont organisées pour demander aux autorités capitalistes des aménagements favorables à la perpétuation de notre exploitation. Nous ne croyons pas qu'il s'agisse d'une situation permanente. Nous avons des camarades dans le milieu syndical qui bataillent fort pour qu'une tradition de syndicalisme de combat revienne à l'ordre du jour. Nous espérons de tout cœur que les syndicats pourront renouveler leurs structures et revenir à une tradition de lutte inclusive, combative, radicale et respectueuse. Nous sommes toutefois forcéEs de constater que Paul Piché sur un stage, un itinéraire dévoilé à la police et des ballounes sont des signes indéniables que le respect minimal que l'on doit accorder à une commémoration de la résistance n'y est pas.

On se fait tous et toutes arrêter, qu'est-ce que ça donne ?

La répression subie par la manifestation anticapitaliste du 1er mai est symptomatique du profilage politique du SPVM4. Toutefois, le risque d’arrestation dans un contexte où nous préservons notre autonomie et respectons nos principes est peut-être un compromis plus acceptable que le risque d’être marginaliséEs et dénoncés publiquement par les apparatchiks ou attaquéEs par les services d’ordre syndicaux. Le milieu anticapitaliste s'est depuis longtemps doté de principes qui respectent les tactiques employées par chacun et chacune, que l'on appelle la diversité des tactiques. Il s'agit d'une entente par laquelle on s'engage à respecter les tactiques choisies selon les intérêts et capacités de chaque groupe, à tenter d'être complémentaires et respecteux les uns des autres et surtout, à ne pas dénoncer publiquement les tactiques utilisées par les participantEs à nos manifestations. Évidemment, cela ne veut pas dire qu'il est stratégique d'effectuer n'importe quelle action à n'importe quel moment, mais bien que si une tactique est problématique pour certaines personnes, on règle les différends à l'intérieur de notre milieu, non seulement pour prévenir les arrestations, mais surtout pour garder notre unité. En effet, dès que les autorités veulent affaiblir un mouvement, elles font tout pour le diviser, comme le gouvernement a tenté (sans trop de succès) de négocier avec la FEUQ sans la CLASSE en 2012. L'unité permet de créer des mouvements qui maintiennent leur rapport de force dans les situations où c'est le plus nécessaire. Ainsi, bâtir une collaboration à long terme avec des organisations qui ne respectent pas la diversité des tactiques ou pire, qui s'attaquent fréquemment aux manifestantEs masquéEs, nuit à établir un rapport de force à long terme. Il est normal que la mobilisation connaisse des hauts et des bas, que les vagues contestataires soient suivies de vagues réactionnaires. Toutefois, le principal facteur qui peut améliorer notre sécurité dans une manifestation, c'est le nombre. Un autre moyen est de diversifier les tactiques que nous utilisons afin de réduire les risques d'arrestation, de susciter un certain sentiment de reprise de pouvoir sur nos vies et une sensation de victoire5, de développer notre force collective et, surtout, d'attirer plus de monde les années suivantes, même si à court terme l'accessibilité peut être moins grande à cause des niveaux élevés de répression.

Préserver la tradition anticapitaliste

Retourner dans la manifestation syndicale peut certes nous permettre de nous rassembler en étant moins isolés, mais il ne s'agit en aucun cas d'une garantie contre le profilage policier et les arrestations d'une part ou contre les actions des services d'ordre syndicaux d'autre part. Le principal avantage est de rendre visible la présence anticapitaliste et de pouvoir passer un message aux travailleurs et travailleuses par le biais de tracts afin de les inviter à renouer avec la tradition combative du 1er mai et à se joindre à nous. Par contre, on risque aussi d'attirer les foudres de la répression sur des gens qui ne s'attendent absolument pas à ça. Les porte-paroles syndicaux auront alors le haut du pavé pour dénoncer l'action directe, marginalisant encore plus les tactiques révolutionnaires. Ou alors, comme c'est généralement le cas lorsqu'on participe à ce type de manifestations, on auto-censure l'action directe justement par peur d'attirer la répression sur les autres. Il faut se rappeler que, si la répression a augmenté au fil des années contre la manifestation anticapitaliste du 1er mai, c'est lié directement au succès de notre mobilisation. Année après année, le 1er mai anticapitaliste a rassemblé de plus en plus de monde, éclipsant la parade syndicale dans les médias, comme sur le terrain. Le discours anti-capitaliste a gagné énormément en visibilité, avec chaque année des cibles politiques et économiques identifiées. La participation à cette manifestation est devenue de plus en plus diversifiée et nombreuse, regroupant plus d'un millier de personnes en 2011. En fait, il faut se le dire, le 1er mai anticapitaliste était devenu la plus grosse manifestation autonome de l'extrême gauche à Montréal, et ce, depuis longtemps. Cette augmentation des forces sous la bannière anticapitaliste a connu son apogée durant le conflit étudiant et social de 2012 où la manifestation annuelle a regroupé près de 5 000 personnes. Comme il fallait s'y attendre, la réaction de l'État et des forces de l'ordre a été d'augmenter la répression pour tenter de casser le mouvement. Lorsque notre rapport de force augmente, la répression augmente et nous force à nous réajuster.

En conclusion

Cependant, bien qu'il soit devenu très difficile de se rassembler et de prendre la rue en tant qu'extrême gauche de façon autonome, nous croyons que nous devons réinventer nos tactiques, plutôt que de simplement abdiquer devant la menace des tickets municipaux et abandonner l'idée d'organiser nos propres manifestations. Nous croyons qu'on ne peut tout simplement pas baisser les bras et oublier tous les gains accumulés par ces années de travail de mobilisation anticapitaliste; en période difficile, il faut s'adapter au nouveau contexte tout en continuant d'honorer la tradition combative du 1er mai, célébrée par les travailleurs, travailleuses et sans-emploi partout dans le monde. En tant qu'anticapitalistes, nous devons être solidaire des camarades qui eux et elles n'ont d'autre choix que de braver le risque de la prison ou des balles pour se mobiliser et qui, malgré tout, continuent de prendre la rue dans une réelle perspective de lutte de classes.☐

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