Extraits de: le 1er mai, par Errico Malatesta (1893)

Pour la troisième fois, le prolétariat conscient de tous les pays affirme, par la tenue d’une manifestation internationale, une solidarité authentique entre les travailleurs et travailleuses, une profonde haine de l’exploitation et la volonté, chaque jour plus déterminée, de mettre fin au système tel qu’il existe.

Les gouvernements et les classes tremblent, avec raison. Non pas parce que la révolution éclatera ce jour-là (car cet événement pourrait survenir n’importe quel jour de l’année), mais parce que quand les oppriméEs commencent à éprouver le fardeau et la honte de l’oppression, quand ils et elles se sentent frères et sœurs, quand ils et elles oublient toutes les haines historiques fomentées par les classes dirigeantes, quand ils et elles se serrent la main au-delà des frontières et trouvent la solidarité dans la lutte pour l’émancipation commune, le jour de la libération est certainement proche.

Et ce mouvement est d’autant plus important qu’il est l’œuvre directe des masses elles-mêmes, indépendamment des actions partisanes, voire en opposition aux partis.

Lorsque les socialistes d’État, à l’occasion du Congrès de Paris de 1889, ont appelé le 1er mai une journée de grève internationale, ils n’y voyaient rien de plus qu’une de ces définitions platoniques adoptées lors des congrès pour affirmer un principe et qui sont oubliées aussitôt que le congrès est terminé. Peut-être les congressistes croyaient-ils qu’une telle décision donnerait de l’étoffe à leur parti et serait utile à certains hommes dans leur démarche électorale; malheureusement, le cœur de ces gens ne semble battre avec enthousiasme que pour les fins électorales. Quoi qu’il en soit, il est certain que du moment qu’ils ont perçu que l’idée avait progressé et que les manifestations sont devenues imposantes et ont menacé de les entraîner sur des voies révolutionnaires, ces gens ce sont efforcés de mettre le mouvement au pas et de lui ôter la signification que l’instinct populaire lui avait donné. Pour le prouver, il suffit de se rappeler les efforts qui ont été faits pour déplacer la manifestation du 1er jour de mai au premier dimanche de mai. Puisqu’il n’est pas d’usage de travailler le dimanche, parler de suspendre le travail ce jour-là n’est rien d’autre qu’une farce et une imposture. Ça n’est plus une grève, ça n’est plus un moyen d’affirmer la solidarité des travailleurs et travailleuses et leur pouvoir de résister aux injonctions des employeurs. Ça n’est plus rien d’autre qu’une fête, un congé, une petite marche, quelques discours, quelques résolutions indifférentes, passées par applaudissements (…), et c’est tout. Et afin de tuer encore plus efficacement le mouvement qu’ils avaient lancé par inadvertance, ils sont allés jusqu’à demander au gouvernement de faire du 1er mai un congé officiel !

La conséquence de toutes ces tactiques d’apaisement est que les masses, qui s’étaient d’abord lancées dans le mouvement avec enthousiasme, commencent à perdre confiance et en viennent à considérer le 1er mai comme rien de plus qu’une parade annuelle ne se distinguant des autres parades traditionnelles qu’en ce quelle est plus maussade et ennuyeuse qu’elles.

Il appartient aux révolutionnaires de sauver ce mouvement, qui pourrait, à un moment ou un autre, donner lieu à des conséquences extrêmement importantes et qui de toutes manières reste un puissant moyen de propagande qu’il serait insensé d’abandonner.

Il nous faut hisser nous même notre pavillon et nous devons le porter bien haut partout où les gens souffrent, et en particulier, partout où les gens montrent qu’ils sont fatigués de souffrir et luttent par tous les moyens, bons ou mauvais, contre l’oppression et l’exploitation.

Dans une société fondée sur une contradiction d’intérêts, où une classe conserve toute la richesse sociale et est organisée en pouvoir politique afin de défendre ses propres privilèges, la pauvreté et l’assujettissement des masses déshéritées tendent toujours à atteindre leur paroxysme, conformément (…) aux intérêts de la classe dirigeante. Et cette tendance ne connait pour entrave que la résistance de l’oppriméE : l’oppression et l’exploitation ne cessent que lorsque le point de rupture est atteint et que les travailleurs et travailleuses se décident à ne plus les endurer.

Si l’on obtient des concessions modestes plutôt que des concessions majeures, ça n’est pas parce qu’elles sont plus faciles à obtenir, mais parce que le peuple s’en contente.

Si l’on a pu arracher quoi que ce soit aux oppresseurs, ça a toujours été par la force ou par la peur; et c’est toujours la force ou la peur qui empêchent les oppresseurs de reprendre ce qu’ils ont concédé.

La journée de huit heures et les autres réformes, qu’elle que soit leur valeur, ne peuvent être obtenues que lorsque les hommes et les femmes se montrent résoluEs à les prendre par la force, et elles n’apporteront aucune amélioration au lot des prolétaires à moins que ceux-ci et celles-ci ne soient déterminéEs à ne plus subir désormais ce qu’ils et elles ont subi jusqu’à aujourd’hui.

La sagesse, dans ces conditions, et même l’opportunisme, exige que nous ne perdions pas de temps et d’énergie à quémander des réformes apaisantes, mais que nous luttions plutôt pour l’émancipation totale de tous et toutes, une émancipation qui ne peut devenir réalité que par la mise en commun de la richesse et l’abolition des gouvernements.

Par ailleurs, dans les pays où les déshéritéEs ont tenté la grève le 1er mai, ils et elles ont oublié « les huit heures » et le reste. Le 1er mai a pris toute l’importance et la signification d’un rendez-vous révolutionnaire, à l’occasion duquel les travailleurs et travailleuses du monde entier comptent leurs forces et se promettent mutuellement d’être solidaires dans la bataille décisive qui s’approche chaque jour.

De l’autre côté, les gouvernements travaillent fort pour éliminer toute illusion que l’on pourrait encore bercer quant à l’intervention des pouvoirs publics en faveur des travailleurs et travailleuses, car au lieu de concessions, tout ce qui a été obtenu à date, c’est des arrestations de masse, des charges de cavalerie et des coups de feu ! Meurtre et mutilation !

LONGUE VIE au 1er mai!

Il n’est pas, comme nous l’avons dit, le jour de la révolution, mais il demeure une bonne occasion pour la propagation de nos idées, et pour tourner l’esprit des humains vers la révolution sociale.

 

-Errico Malatesta

Publié dans The Commonweal (Londres) 1, nouvelle série, no.1, le 1er mai 1893. Repris dans The Method of Freedom : An Errico Malatesta Reader, 2014, AK Press, Oakland, Édimbourg, Baltimore. p. 165- 168. Traduction : Rich Bonemeal pour la CLAC.