Autochtones en Colombie: un contexte dangereux

Qui possède la Colombie?

L’histoire de la Colombie est aussi l’histoire de l’ingérence américaine, dont l’exemple le plus marquant est la création du Panama en 1903, avec pour but la construction du canal qui permettrait à la flotte américaine de transiter facilement entre leur côte Est et leur côte Ouest.

Mais l’histoire de la Colombie coloniale est surtout l’histoire des grands propriétaires terriens, l’histoire des latifundios, les grandes fermes privées. À partir des années 1930, cette grande concentration des terres en un petit nombre de mains a encouragé certaines idées de gauche, en particulier les idées communistes. Cette concentration de la richesse a mené en 1948 à la Violencia, dix années de guerre civile entre conservateurs et libéraux, où plus de 200 000 civil·e·s ont été tué·e·s, souvent après d’horribles tortures.

La fin de la Violencia n’a cependant pas sonné la fin des combats. Si les libéraux et conservateurs ont fini par s’entendre et se repartager le pouvoir, les terres sont restées dans les mêmes mains. Toute personne qui réclamait un peu plus de justice sociale était marquée comme communiste et, avec le support des Américains, finissait assassinée.

Les communistes ont donc formé des bandes armées loin des villes, dans le but de redistribuer les terres accaparées dans les latifundios. Ces bandes ont formé différents mouvements, dont le plus connu prend le nom de FARC (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia). Malheureusement, avec le pouvoir à Bogotá supporté par Washington, les combats entre les bandes armées et les grands propriétaires terriens se sont embourbés, s’étalant sur une période de près de 50 ans. Avec le temps et le besoin de financer la lutte, les bandes armées se sont mises à prendre le contrôle de ressources naturelles du territoire, et à promouvoir la culture du coca.

Les années 1970 et les suivantes ont vu la situation empirer, l’État promouvant un modèle économique de grandes fermes destinées à l’exportation. Les latifundios se sont multipliées et agrandies, poussant les paysan·ne·s pauvres vers la ville. L’État a ainsi fait d’une pierre deux coups: il a bonifié ses exportations, tout en recrutant une main-d’œuvre à bon marché pour ses projets d’industrialisation urbaine.

Le bilan de 50 ans de luttes armées, ponctuées de brèves périodes de paix, n’est pas reluisant. Encore en 2012, plus de la moitié des terres rurales sont la propriété de 1,15% de propriétaires. L’essentiel de ces terres sert à l’élevage bovin, dont les produits sont par la suite pratiquement tous exportés. La Colombie manque de nourriture pour nourrir sa propre population, et ne peut pas couvrir ses besoins parce que les terres appartiennent à de riches propriétaires qui profitent de l’exportation.1

Une mesure des inégalités souvent utilisée est le coefficient de Gini, où un coefficient de 0 indique une égalité parfaite et un coefficient de 1,0 indique que toute la propriété est dans les mains d’une seule personne. Le coefficient de Gini de la Colombie en 2019 était de 0,51, représentant un pays plus inégalitaire que les États-Unis (0,41 en 2018), mais moins que le pire pays du monde, l’Afrique du Sud (0,63 en 2014).2 Or, les terres rurales de la Colombie représentent un coefficient de Gini de 0,87, indiquant que pratiquement toute la richesse du territoire n’est dans les mains que d’une infime quantité de personnes.1(bis)

Et les autochtones là-dedans?

Le territoire appelé Colombie recouvre celui de 87 peuples autochtones différents, représentant 4,4% de la population. 3 L’essentiel de la population autochtone se répartit dans les quatre tribus les plus populeuses:

  • • Les Wayuu, dans la région désertique côtière entre la Colombie et le Venezuela;
  • • Les Zenú, dans les vallées près de la côte des Caraïbes;
  • • Les Páez/Nasa et les Pastos, dans les hauteurs des Andes du sud-ouest près de l’Équateur.

Les autochtones possèdent un territoire sous propriété collective, limité à de petites réserves, assez similaire en surface au système canadien. Par comparaison, 4,9% de la population canadienne est autochtone.

En regardant une carte topographique de la Colombie on peut voir comment le pays est scindé par la cordillère des Andes, avec une grande zone de savanes et de forêts tropicales au sud-est. Il est évidemment difficile pour un peuple autochtone de Colombie de revendiquer le droit de décider ce qui se passe sur leur territoire, quand deux bandes armées se battent déjà pour le contrôler. La carte des zones contrôlées par les bandes armées (FARC et ELN) indique à quel point le territoire est divisé.

Que se passe-t-il en ce moment?

Bien que des accords de paix aient été signés entre certains groupes, plusieurs ont toujours conservé leurs armes. Et certains anciens groupes armés supportent maintenant le gouvernement, résultant en des conflits importants entre les différentes bandes.4

La politique des bandes armées, qu’elles soient paramilitaires ralliées au gouvernement ou pseudo-gauchiste, tend à être dichotomique: les habitant·e·s du territoire affecté sont ou bien pour la bande ou contre elle. Toute personne qui tente de prendre une position neutre peut être considérée comme ennemie, et donc assassinée. Les bandes armées pratiquent le recrutement de force, et les autochtones qui se trouvent entre les deux se voient souvent forcé·e·s de rejoindre l’un ou l’autre camp à la pointe du fusil.5

Avec les accords de paix de 2016, plusieurs centres sociaux ont été établis dans le but d’aider les paysan·ne·s à devenir autonomes, notamment de la culture de coca. Malheureusement, l’élection du président de droite Duque en 2018, ouvertement hostile aux accords de paix, à réouvert une phase plus intense du conflit. Les centres sociaux, perçus comme des espaces s’opposant aux bandes armées de l’État et des pseudo-gauchistes, ont été ciblés.

La corruption endémique en Colombie, couplée par des dizaines d’assassinats de leaders autochtones en majorité Páez/Nasa et Pastos6, a culminé avec les grandes manifestations de 2019- 20207 , violemment réprimées par le gouvernement Duque.

L’avenir n’est donc pas rose pour les autochtones de la Colombie, qui se trouvent encore une fois entre l’arbre et l’écorce, dans le conflit larvé du gouvernement corrompu de Bogotá avec les bandes armées rurales.

Pour plus d’informations, on vous invite à écouter l’émission des Apatrides anonymes du 24 février 2022 qui présente entres autres une entrevue du PASC (Projet d’accompagnement solidarité Colombie).8

 

Notes:

1. Voir notamment: https://reliefweb.int/report/colombia/colombian-landowners-peasants-list...

2. Voir: https://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI

3. Voir: https://www.dane.gov.co/files/investigaciones/boletines/grupos-etnicos/p...

4. Voir: https://en.wikipedia.org/wiki/Revolutionary_Armed_Forces_of_Colombia#201...

5. Voir: https://www.hrw.org/reports/2003/colombia0903/colombia0903.pdf

6. Voir notamment: https://www.bbc.com/news/world-latin-america-49342932 et https://www.bbc.com/news/world-latin-america-54598875

7. Voir notamment: https://www.washingtonpost.com/world/the_americas/with-nationwide-strike...

8. https://www.choq.ca/episodes/apatrides-anonymes/emission-du-24-fevrier-2...