MYTHES ET RÉALITÉS SUR LES LUTTES AUTOCHTONES ET ENVIRONNEMENTALES

Les personnes s’opposant à la lutte du peuple Wet’suwet’en ramènent souvent les mêmes opinions, qui ne reflètent pas toujours la réalité. Cet article a pour but de fournir un argumentaire permettant de répondre à ces opinions.

Mythe #1 : Les autochtones ont signé des traités, ielles ont donc cédé leurs terres

Beaucoup de ces traités n’ont pas été signés par les peuples eux-mêmes. Les peuples autochtones ont été mis sous tutelle pendant très longtemps, souvent par l’église catholique. Par exemple, le territoire de Kanehsatà : ke a été donné aux père sulpiciens en 1717 par le gouverneur de la Nouvelle France, avec pour mission de gérer le terrain pour le bénéfice des autochtones. Ce terrain, initialement de 165 kilomètres carrés, a été vendu parcelle par parcelle au fil des années, parfois malgré une grande résistance de la nation Kanyen’kehà : ka (Mohawk) locale. En 1956, il ne restait plus que 6 kilomètres carrés au territoire initial accordé par le gouverneur français [1]. Le peuple de Kanehsatà : ke n’a rien obtenu des multiples ventes de ces terrains et n’en a tiré aucune compensation. Les ventes n’ont servi, finalement, qu’à enrichir l’église.

Le Canada ne respecte pas certains traités qu’il a signé lui-même. Par exemple, la proclamation de Haldimand est un traité entre la couronne britannique et le peuple Kanyen’kehà : ka en compensation pour leur support durant la guerre d’indépendance américaine et leur expulsion subséquente du territoire des États-Unis. Signé par le gouverneur du Québec en 1784, le traité donne aux Kanyen’kehà : ka un terrain de plus de 2200 kilomètres carrés autour de la rivière Kenhionhata : tie (connue sous le nom colonial de rivière Grand) [2].

Le non-respect du gouvernement canadien de ce traité a culminé avec la mobilisation de 1492 Landback Lane, un blocage d’un projet de développement immobilier dans le Haldimand Tract, l’espace accordé aux Kanyen’kehà : ka selon le traité de Haldimand [3].

Les Wet’suwet’en n’ont signé aucun traité avec le gouvernement. Le jugement Delgamuukw de 1997 de la cour suprême du Canada a déterminé que le gouvernement colonial canadien n’avait aucun droit sur le territoire Wet’suwet’en. Le gouvernement colonial canadien argumentait que les droits ancestraux avaient été unilatéralement abolis lors de la fondation de la confédération canadienne en 1867, ce que la cour a invalidé [4]. Les enfants Wet’suwet’en ont toutefois été forcé·e·s d’aller en école résidentielle comme les enfants des autres peuples autochtones, malgré que la nation n’avait jamais signé de traité concernant la cession de leur territoire ou de leur autonomie politique [5].

 

Sources :

 

Mythe #2 : La majorité des chefs de conseil de bande Wet’suwet’en ont signé une entente avec CGL

Les conseils de bande sont la structure imposée par l’état colonial canadien aux autochtones. Les élections au conseil de bande sont restreintes aux personnes détenant le statut d’”indien”, au sens très restrictif de l’état colonial canadien. Par exemple, les femmes mariant des allochtones perdaient leur statut d’”indien” de même que leurs enfants. Les élections au conseil de bande sont de même contrôlées par l’état colonial canadien, qui peut par exemple refuser la candidature d’une personne qui s’oppose à ses politiques [1].

La volonté d’un peuple autochtone passe plutôt par ses chef·fe·s héréditaires. Avant l’arrivée des colons, les autochtones avaient leurs propres systèmes de gouvernance, qui étaient beaucoup plus démocratiques que la monarchie héréditaire coloniale de l’époque, et même beaucoup plus que plusieurs de nos élections actuelles. Il est marquant de noter, par exemple, que les chef·fe·s de conseil de bande Wet’suwet’en approuvent le pipeline, mais que les chef·fe·s héréditaires s’y opposent [2]. Cela suggère fortement que la structure imposée de conseil de bande soit conçue pour faire passer les décisions du gouvernement colonial canadien, et non la volonté des détenteur·trice·s des droits territoriaux.

Il n’y a pas de consentement dans un rapport de force inégal. Les discussions récentes entouant le mouvement #MoiAussi (#MeToo) a démontré qu’en situation de pouvoir, le consentement n’était pas valide. Dans une relation où les peuples autochtones ont été acculés dans des réserves minuscules dans des terres souvent stériles, la seule option qui leur reste est ou bien de quitter la réserve et perdre leur statut d’”indien” au sens de la loi, ou bien de signer des ententes défavorables afin d’éviter la famine [3]. Jusqu’en 1960, les agents du gouvernement pouvaient refuser à un “indien” de sortir de la réserve [4], même temporairement, et encore aujourd’hui les testaments faits par des personnes autochtones doivent être approuvés par le ministère [5].

 

Sources :

[5] Ibid., pages 46-47.
 
 

Mythe #3 : Les blocages sont inutiles car il font plus mal aux travailleur·e·s qu’aux gouvernements

L’industrie pétrolière doit essentiellement disparaître. D’ici quelques années, il est incontournable que l’essentiel de notre énergie provienne de sources renouvelables qui ne produisent pas de gaz à effet de serre. En refusant d’agir, les gouvernements forcent les populations affectées, souvent autochtones, à réagir. Et les travailleur·euse·s qui voient leur emploi menacé blâment les autochtones plutôt que les gouvernements. Un jour ou l’autre il faudra trouver comment nourrir tou·te·s sans avoir besoin des combustibles fossiles [1].

Les recours légaux prennent des décennies à aboutir. Le jugement Delgamuukw en est un bon exemple. Le peupe Wet’suwet’en a déposé une plainte en cour en 1984, dénonçant les coupes à blanc du gouvernement de la Colombie- Britannique en territoire Wet’suwet’en. Le peuple Wet’suwet’en a dû attendre jusqu’en 1997, soit treize ans plus tard, avant que la cour suprême décide en leur faveur [2]. Treize ans, c’est long, surtout quand on voit ses forêts être constamment coupées. Et pour un pipeline, la situation est plus urgente encore : il suffit d’une fraction de seconde pour qu’un accident se produise et ait des conséquences irréversibles.

Les gouvernements ne respectent pas leurs promesses. Un bon exemple est le raid de Restigouche en 1981. Le gouvernement accordait aux Mi’kmaw un droit de pêche pour leur subsistance, mais quand la surpêche par les colons blancs s’est mis à menacer les stocks de saumon, le gouvernement a sévit… contre les autochtones [3]. Il a fallu attendre 1999, soit dix-huit ans plus tard, avant que la décision Marshall finisse par trancher que les Mi’kmaw ont le droit de faire… ce que le gouvernement leur avait promis qu’ielles auraient le droit de faire [4]. Le même constat peut être fait pour la Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975. Les autochtones ont accepté·e·s une perte de souveraineté en échange de plus de pouvoir sur les décisions prises sur leurs territoires : cette promesse s’est avérée vide de sens lorsque les autochtones se sont rendus comptes que les postes de décisions promis étaient symboliques et sans pouvoirs réels [5].

Il est difficile pour une minorité forcée d’habiter dans un territoire minuscule de se faire entendre sur la place publique. Personne n’aime faire ces blocages : c’est un travail difficile et draînant, qui résulte en de multiples arrestations ayant des conséquences juridiques, mentales et physiques à long terme. Il s’agit donc d’un mécanisme de dernier recours pour une minorité qui est peu écoutée dans les médias, qui peine à se faire entendre, et surtout à se faire comprendre [6].

 

Sources :

 

Mythe #4 : Le gaz naturel est nécessaire pour faire la transition hors du charbon

Il faut analyser le cycle de vie complet du gaz naturel. Il est vrai que bûler du gaz naturel produit moins de gaz à effet de serre que de brûler du charbon. Par contre, le gaz naturel que CGL essaie de faire passer en territoire Wet’suwet’en provient de la fracturation hydraulique (fracking). Cette approche consiste à injecter une grande quantité de liquide sous la terre, forçant le gaz à s’échapper. Une partie du gaz est captée et acheminée, mais une proportion non-négligeable s’échappe à partir d’autres fissures. Or, le gaz naturel a un potentiel d’effet de serre plus puissant que le CO2. Des analyses récentes indiquent que le gaz naturel obtenu par fracturation hydraulique serait jusqu’à 20 % pire que le charbon, lorsque l’on regarde son cycle de vie complet [1].

Il n’y a aucune garantie que ce gaz remplacera une centrale électrique au charbon. Si les pays occidentaux plus riches ferment graduellement leurs centrales électriques au charbon, ce n’est pas le cas ailleurs dans le monde. L’explosion des besoins en électricité afin de faire fonctionner l’économie capitaliste actuelle force les pays en développement à développer leur production d’électricité, ce qui passe malheureusement souvent par le charbon [2].

Il est donc fort probable que le gaz transporté par CGL ne remplace pas une centrale au charbon, mais qu’il s’ajoute plutôt à la production mondiale de gaz à effet de serre. Pourquoi faire payer les autochtones pour nos erreurs environnementales ? Il est clair que les actions des puissances coloniales lors du dernier siècle vont nous mener droit vers le mur. Il est inévitable que nous aurons bientôt à faire des changements radicaux dans nos modes de vie, si nous voulons assurer notre survie. Mais ces changements doivent être fait par TOUT le monde : Il serait inacceptable de faire payer les populations moins fortunées, ou les populations autochtones, pour notre transition énergétique [3].

 

Sources :

 

Mythe #5 : Les autochtones reçoivent beaucoup d’argent du gouvernement et ne devraient pas mordre la main qui les nourrit

Avant tout les montants qui sont versés sont insignifiants par rapport à la valeur qui leur ont été volé depuis le début de la colonisation et qui ont permis l’accumulation de richesse soi-disant nationales.

Les montants versés ne sont pas aussi élevés qu’on le pense. Les compensations monétaires en lien avec les différents traités sont souvent très modestes, n’ont pas été indexés avec les années, ou bien sont limités à une période de temps précise. Par exemple, le traité #8, signé en 1899 avec des populations Eeyou (Cree), Dane-zaa et Chipewyan, verse un montant compensatoire de 1$ par année par famille [1]. Même pas assez pour prendre l’autobus !

Beaucoup de compensations ne sont pas versées du tout. Les différents palliers de gouvernement tendent à contester jusqu’au bout tout jugement de la cour qui demande de verser un montant compensatoire à un peuple autochtone. Le cas le plus récent est le refus du gouvernement de compenser les victimes des écoles résidentielles [2]. De même, l’église catholique, impliquée dans le régime des écoles résidentielles et dans la tutelle de plusieurs peuples autochtones, refuse de verser les montants compensatoires imposés par la cour et préfère aussi poursuivre les contestations judiciaires [3].

Beaucoup d’argent ne se rend pas jusqu’aux populations affectées, mais est plutôt détourné par les conseils de bande coloniaux. Le meilleur exemple est la formation du conseil de bande sur la réserve de Akwesasne en 1899 par la GRC. Lorsque la réserve s’est soulevée contre l’annexation de son territoire, la police a occupé celui-ci, a assassiné l’un·e des chef·fe·s traditionnel·le·s, et a imposé par la force son propre conseil de bande, favorable à l’annexation [4]. Cette situation ne s’est pas améliorée de nos jours, alors que plusieurs conseils de bande coloniaux sont soupçonnés ou carrément accusés en cour de corruption [5].

Le coût de la vie dans les réserves est souvent beaucoup plus élevé que dans les villes et villages des colons. S’il y a beaucoup de propagande mensongère qui dit qu’”on en fait trop pour les indiens” [6], il faut se rappeler que tout coûte plus cher en région éloignée. Par exemple, faire venir un·e enseignant·e·s, l’héberger, et le ramener chez ellui coûte plus au Nunavut qu’à Montréal. De la même manière, 1$ versé à Montréal n’a pas le même pouvoir d’achat que 1$ versé à Kuujjuaq. Il s’ensuit que la nourriture au Nunavut coûte trois fois plus cher que dans le reste du pays, un fait qui n’est pas considéré lors des versement des montants compensatoires [7]. Et c’est sans compter que les multiples moratoires imposés sur les moyens de survies traditionnels, comme la chasse et la pêche, font que beaucoup de communautés sont dépendantes des vivres envoyées depuis le sud.

 

Sources :

[6] Par exemple, l’institut Fraser, de tendance d’extrême-droite économique, publie énormément de publications très critiques des montants versés aux peuples autochtones. Cet institut est très souvent cité dans les médias mainstream.