LE COMBAT POUR ADA’ITSX (FAIRY CREEK)

La zone appelée Ada’itsx, mieux connue sous le nom de Fairy Creek, se trouve près de la côte sud-ouest de l’île de Vancouver, à environ deux heures de route de Victoria. Initialement composée du bassin versant du ruisseau du même nom, la zone est venue à recouvrir un ensemble de forêts vierges de la région. Le bassin versant initialement défendu se trouve en territoire Pacheedaht, mais la zone touche maintenant un ensemble de forêts plus grandes, qui touchent notamment le territoire Ditidaht [1].

Ces anciennes forêts sont vierges, et donc n’ont jamais été coupées. Elles sont formées d’arbres très vieux, dont le plus ancien aurait plus de deux mille ans et ferait trois mètres de diamètre. Ces forêts sont formées majoritairement de Cyprès de Nootka [2], un arbre pouvant atteindre 40 mètres de hauteur. Ces anciens arbres forment un écosystème étagé unique, avec des plantes et animaux différents vivants dans les différentes hauteurs de la forêt.

Ces forêts forment une partie essentielle de la culture Pacheedaht, qui compte sur les grands cèdres pour la fabrication des canots traditionnels pouvant prendre la mer [4]. Mais pourtant, la majorité du peuple Pacheedaht ne supporte pas les blocages initiés par les colons blancs. Que se passe-t-il ?

 

Le peuple Pacheedaht

La réserve du peuple Pacheedaht, à proximité de la ville de Port Renfrew, est présentement formée d’environ 290 personnes. Comme beaucoup de peuples autochtones, les Pacheedaht ont beaucoup souffert des politiques coloniales du gouvernement canadien.

Leur source traditionnelle de nourriture, la baleine, ne leur est plus accessible [5]. Pendant des décennies, les Pacheedaht ont vu les forêts autour de leur réserve coupées et envoyées au loin, sans qu’ielles ne reçoivent de compensation. Afin de faciliter le transport des arbres géants coupés, les rives de l’île de Vancouver dans leur région ont été draguées, détruisant les refuges utilisés par les jeunes saumons pour manger. Leur situation n’est donc pas à envier !

Cependant, les Pacheedahts reprennent lentement le contrôle de leur territoire. Ielles travaillent à rebâtir les berges détruites pendant les décennies d’exploitation de la forêt. Les saumons commencent à revenir et donnent espoir que la pêche sera plus abondante dans l’avenir.

Depuis un peu plus de dix ans, les Pacheedahts ont aussi obtenu gain de cause dans l’exploitation de la forêt et obtiennent maintenant des redevances de l’exploitation de leur territoire. Les Pacheedahts ont aussi construit un petit moulin à scie, offrant quelques emplois dans la réserve, et un espace pour la fabrication traditionnelle de canots de mer.

Les Pacheedahts tentent d’assurer une exploitation forestière qui leur permettra de maintenir leurs traditions, considérant qu’il faut environ 400 ans pour qu’un cèdre atteigne une taille suffisante pour faire un canot.

 

La protection des forêts vierges

De son côté, la communauté militante allochtone de la Colombie-Britannique hérite une longue histoire de protection des forêts vierges. De multiples actions contre les coupes à blanc dans les forêts anciennes durant les années ‘80s ont culminé à l’été 1993 avec la “War of the Woods”, une action massive de bloquage dans la baie de Clayoquot. La baie de Clayoquot se trouve sur la côte ouest de l’île de Vancouver, plus au nord d’Ada’itsx (Fairy Creek). Ces actions ont mené à plus de 800 arrestations, le plus grand mouvement de désobéissance civile au Canada à l’époque. Ce triste record a été battu par les blocages actuels de Ada’itsx (Fairy Creek) [6].

Le besoin de protéger les forêts vierges de manière permanente a poussé beaucoup d’ancien·ne·s militant·e·s de Clayoquot vers les actions politiques. Ces anciennes militant·e·s se sont tourné·e·s vers le lobbying afin de forcer les gouvernements à protéger les forêts de la région. Et à première vue, cette approche a fonctionné, et de nouvelles lois permettant de protéger les forêts ont été promulguées.

Le problème est que ces lois n’ont pas eu d’effet concret. Dans les années ‘90s, lors des luttes pour Clayoquot, 30 % de l’île de Vancouver était recouverte de forêt. Aujourd’hui, la couverture n’est plus que de 20 % [7]. Et la proportion de forêts possédant les arbres les plus anciens, comme ceux qu’on retrouve à Ada’itsx (Fairy Creek) est estimée entre 1 % et 3 % de la surface de l’île. Le gouvernement provincial actuel du NPD, supposément de gauche, est blâmé pour son horrible bilan environnemental [8].

 

Le blocage d’Ada’itsx (Fairy Creek)

Comme son nom l’indique, la zone appelée Fairy Creek est absolument féérique. N’étant pas très loin de Victoria, il s’agit d’un lieu prisé par les touristes de la région et d’ailleurs. Lorsque le message s’est passé que les forêts anciennes de la région allaient être abattues, la nouvelle est rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux. L’abattage de la forêt devait être fait par le Teal Jones Group, une compagnie privée basée en Colombie-Britanique.

En conséquence, un groupe d’allochtones s’est réuni à Port Renfrew pour discuter de ce qu’il fallait faire. Après discussion, le groupe a décidé que l’urgence devait dicter leurs actions : ielles allaient bloquer la route, même s’ielles n’avaient pas encore discuté avec le peuple Pacheedaht.

Le blocage a donc été initialement une affaire de colons. Les choses ont cependant changé : le blocage tient maintenant depuis plus d’un an, et depuis plusieurs personnes autochtones ont rejoint les camps par la suite. La majorité du peuple Pacheedaht ne supporte toujours pas les blocages, mais certains membres de la communauté s’y sont joint. Les autochtones qui se sont joints aux blocages ont remis les pendules à l’heure et ont tenté de former des liens avec les communautés autochtones de la région afin de réparer certains des pots cassés.

 

Entre l’arbre et l’écorce

La région vaut certainement la peine d’être protégée, mais il faut comprendre que cette protection possède un coût pour les populations locales. Les actions du gouvernement colonial canadien ont déjà enlevé aux Pacheedaht les baleines et le saumon, faut-il aussi leur enlever la forêt ?

La situation n’est donc pas idéale, mais existe-t-il des situations parfaites ? La lutte pour Ada’itsx (Fairy Creek) a mis en évidence les mensonges et l’hypocrisie des gouvernements. Le gouvernement provincial soi-disant de gauche du NPD a récemment prétendu avoir protégé 353 000 hectares de forêt, mais une analyse rapide a démontré que

  1. Une bonne partie de cet espace était déjà protégé depuis plusieurs années,
  2. Une autre partie avait déjà été complètement abattue.

La lutte forme aussi toute une génération prête à se battre pour défendre ce en quoi elle croit, et apprend peu à peu à le faire dans le respect des populations autochtones. Des liens très forts se forment entre allochtones et autochtones, qui seront précieux lors des luttes à venir.

La lutte a aussi humilié la “toute-puissante” GRC, forçant un juge à abandonner les injonctions contre les militant·e·s [9], suite aux abus multiples de la police [10]. L’incapacité de la police à arrêter les blocages malgré un déploiement monstre démontre les limites de l’appareil policier face à une lutte massive organisée.

Pour paraphraser Madeleine Parent, militante syndicaliste québécoise : Chaque lutte enseigne à la personne militante comment se battre. Rien n’est jamais complètement perdu.

 

Sources :